Chroniques

Printemps

A rebrousse-poil

Une fine couche de neige fraîche est posée ce matin sur les toits de Ste-Croix…

Espérer.

C’est par ce mot que je terminais ma chronique du mois dernier.

En ce froid printemps, est-t-il encore permis d’espérer? Jour après jour, le spectacle du monde nous apporte de nouveaux motifs d’accablement, et tout semble fait pour qu’on renonce lentement à ce qui nous restait de foi en l’humain. Quelques noms de lieux suffisent pour rappeler nos défaites et la permanence de l’horreur: Alep d’abord, ne l’oublions jamais. Puis Khan Cheikhoun (la localité de Syrie attaquée au gaz sarin il y a peu), et toujours Gaza, la Palestine, et tant d’autres. Pareillement, des noms de personnages, qui résonnent, lugubres, dans le ciel de notre pauvre planète: Trump, Erdogan, Poutine, Al Assad. Quelle place reste-t-il pour nos espoirs après de telles atrocités, avec ces individus-là aux commandes? En quel avenir peut-on croire?

Espérer, pour nos voisins français, qui n’ont maintenant le choix, pour les gouverner durant les cinq ans qui viennent, qu’entre la peste et le choléra? Vont-ils porter au pouvoir un fascisme rance, qui se dissimule sous les traits de l’agneau et promet aux masses désemparées, par la seule vertu du repli sur soi, l’avènement de lendemains qui chantent? Ou se résigneront-ils, pour barrer la route à la peste brune, à élire un familier des banques, dont le programme est de poursuivre l’affaiblissement de l’Etat, en ménageant les nantis et la finance?

Espérer encore, quand on voit vaciller la flamme qui avait illuminé l’Amérique latine il y a quelques années, du Brésil au Nicaragua?

Naissent pourtant ici et là quelques lueurs, mais si timides, mais si anecdotiques! A peine si on ose les citer, tant elles sont dérisoires, au milieu de l’obscurité qui a envahi notre terre: il y a quelques jours, un tribunal citoyen relevait, à La Haye, que la multinationale Monsanto était coupable de crimes contre l’environnement1 value="1">Lire Catherine Morand, «Monsanto jugé coupable d’écocide», Le Courrier du 20 avril 2017 : https://www.lecourrier.ch/148737/monsanto_juge_coupable_d_ecocide; un peu auparavant, les électeurs valaisans congédiaient sèchement leur sinistre ministre de l’Education; et en France, au premier tour de la présidentielle, un programme résolument de gauche rassemblait près de vingt pour cent des votants.

C’est bien peu…

Ainsi vont les temps que nous vivons. Sombres.

A-t-on pour autant le droit de cesser d’espérer?

Du fond de sa prison sur l’île de Ponza, où il passa vingt ans de sa vie, Antonio Gramsci disait qu’il faut «avoir le pessimisme de l’intelligence et l’optimisme de la volonté».

Continuer obstinément à penser, à parler, à lutter, à oser, à partager, même si ça peut paraître aujourd’hui déraisonnable! Surtout ne pas oublier de se sentir en solidarité, à travers l’espace et le temps, avec tous ceux qui ont rêvé, ou rêvent, d’une société plus juste.

Baisser les bras, ce serait reconnaître la victoire de ceux qui n’ont d’autre loi que celle du plus brutal, que la loi de la jungle. Ce serait admettre que ce monde, que nous avons voulu changer pour le meilleur, est immuable, définitivement, avec son cortège d’enfants affamés, de pauvres épuisés et de corps torturés, avec au loin les fortunes colossales de quelques-uns, et leur luxe inouï. Au contraire, espérer toujours, c’est garder allumée une bougie dans les plus profondes ténèbres, c’est éclater de rire face aux graves économistes et à tous ceux qui s’entêtent à prôner un système qui sent la charogne. C’est joyeusement faire un bras d’honneur aux traders, aux «winners», aux exploiteurs de tous poils, c’est adresser aux maîtres d’aujourd’hui et à ceux qui les servent un superbe pied de nez!

Espérer malgré tout, c’est rester debout, digne, humain.

Devant la maison, la glycine que j’ai plantée l’an dernier a traversé l’hiver. Sur ses branches que je croyais mortes pointent de minuscules bourgeons.

Notes[+]

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Opinions Chroniques Michel Bühler

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lundi 8 janvier 2018

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