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Taux bas

(Re)penser l'économie

Nous vivons une époque formidable… Depuis plusieurs années, les taux d’intérêt n’ont cessé de baisser pour atteindre un plancher record. Cette évolution des taux ne concerne pas que la Suisse, mais la plupart des pays représentant l’essentiel de l’économie mondiale, ce qui est révélateur d’un processus économique de fond. Pour notre pays, depuis le début de ce siècle, le taux directeur fixé par la Banque nationale suisse a constamment diminué: il est passé de 4% – son niveau le plus haut en juin 2000 – à – 0,75% actuellement. Ce taux est appliqué par la BNS aux banques commerciales qui souhaitent emprunter des liquidités auprès d’elle. Cette évolution des taux directeurs se répercute sur les autres taux d’intérêts: taux hypothécaires, prêts aux entreprises, prêts à la consommation etc. Ainsi, récemment, le taux hypothécaire appliqué par certaines banques est descendu en dessous de 1%.

Aux Etats-Unis, dont la Banque centrale – la FED – avait commencé à relever ses taux en raison de la croissance économique, le taux directeur de la Réserve fédérale a de nouveau baissé au mois de juillet dernier. Dans une politique monétariste (basée sur les modifications des taux d’intérêt), cette baisse des taux a pour objectif de favoriser la croissance en fournissant aux banques et aux entreprises du crédit bon marché susceptible de stimuler les investissements et donc l’activité économique. Mais la politique monétariste semble oublier que les décisions d’investissements ne dépendent pas seulement du coût du crédit mais plutôt des perspectives que les entreprises perçoivent de leurs propres possibilités de croissance. A savoir le développement de nouveaux marchés ou de nouveaux produits et, surtout, de la capacité des consommateurs à les acheter. Lors des Trente Glorieuses, la forte croissance provenait pour l’essentiel des reconstructions de l’après-guerre, de la mise sur le marché de nouveaux produits de masse (voiture, électroménager, télévision, etc.) et d’une hausse du pouvoir d’achat des consommateurs en raison de la mise en œuvre d’une politique keynésienne de relance conduite par les Etats. A cette époque, les taux d’intérêts étaient élevés mais ne freinaient en rien l’activité économique.

Aujourd’hui, le pouvoir d’achat des ménages et des Etats stagne ou diminue, ce qui implique de stimuler la croissance en recourant à l’endettement. C’est là que la diminution des taux prend tout son sens. Bien que marginal, l’octroi de prêts à intérêts négatifs accordé à des emprunteurs (ils rembourseront moins d’argent que ce que la banque leur a prêté!) est révélateur de ce processus. Mais tout cela n’est pas sans conséquences. Ainsi, pour prendre l’exemple du secteur immobilier, les taux bas favorisent l’investissement dans la pierre. De nouveaux acheteurs acquièrent des logements parce que les taux leur permettent de devenir propriétaires, ce qui n’était pas le cas avec des taux élevés. Par ailleurs, des investisseurs cherchent dans le marché immobilier des rendements qu’ils ne trouvent plus dans le marché des obligations. Cet afflux a conduit depuis une dizaine d’années à une hausse des prix de l’immobilier qui tendent à ne plus être en rapport avec la valeur réelle des biens sur le marché. L’endettement des ménages gonfle également avec le développement des crédits à la consommation. Quant aux Etats, les mesures de relance couplées aux baisses d’impôts aggravent les déficits et l’endettement. Ainsi les Etats-Unis prévoient un déficit budgétaire de 1000 milliards de dollars en 2020 et une dette qui atteindra la jolie somme de 28700 milliards de dollars, à savoir près de 130% du PIB américain.

Cette politique de relance par des mesures monétaires, accompagnée de la reprise de rachats d’actifs par les Banques centrales auprès des banques commerciales, pourrait bien constituer les prémices de la prochaine crise économique. En effet, en cas de retournement de la conjoncture, la remontée des taux d’intérêt pourrait conduire les emprunteurs les plus fragiles à l’incapacité d’honorer leurs engagements, avec des conséquences sérieuses sur la partie du système bancaire la plus exposée. Cela nous rappelle la crise de 2008.

Notre chroniqueur est membre de SolidaritéS et ancien député.

Opinions Chroniques Bernard Clerc

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lundi 8 janvier 2018

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