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Soins à domicile

Le Conseil fédéral souhaite mieux réglementer la prise en charge à domicile des personnes ayant besoin d’encadrement 24 heures sur 24. Mais une nouvelle règlementation risque de ne pas suffire à améliorer les conditions de travail souvent misérables des personnes qui migrent pour venir s’occuper de nos personnes dépendantes, déplore Caritas Suisse.
Soins à domicile

Cette dame de 90 ans, qui vit seule chez elle, ne veut pas aller dans une maison de retraite. Mais, depuis qu’elle a fait une chute, elle a besoin d’aide à domicile jour et nuit. Ni son fils ni sa fille ne peuvent garantir une prise en charge aussi intensive. Par des connaissances, ils ont eu l’adresse de Maria, qui vit en Slovaquie. Maria a séjourné deux fois déjà en Suisse pour s’occuper de personnes âgées; c’est elle qui prendra la vieille dame en charge. On se met d’accord sur un salaire de 2000 francs par mois. Il n’y a pas de contrat de travail. Maria travaillera au noir, elle n’est pas assurée. Si elle est malade ou si elle a un accident, elle va devoir s’endetter. Et elle est dans l’illégalité. Les employeurs aussi sont punissables. Sans compter que l’Etat ne perçoit pas les taxes d’assurances sociales ni les impôts.

La prise en charge à domicile des personnes âgées est en pleine expansion. La Sonntagszeitung (16 juillet 2017) a mené l’enquête et trouvé, ces cinq dernières années, 300 nouvelles inscriptions d’agences de placement en soins de prise en charge et soins infirmiers au registre du commerce. Rien que pour les agences proposant des placements 24 heures sur 24, il y en a eu 90 nouvelles. Ces agences placent des personnes comme Maria, originaires d’un pays de l’Est, dans des ménages privés. Dans les contrats de travail standards pour les travailleuses et travailleurs de l’économie domestique (CTT économie domestique), les conditions sont établies de façon très rudimentaire. Il faut donc que le Conseil fédéral réglemente mieux les conditions d’engagement du personnel soignant.

Ces mesures ne suffiront pas à elles seules à protéger durablement le personnel soignant venant d’Europe de l’Est. Un grand nombre de ces personnes travaillent au noir et, pour elles, une règlementation ne changera pas grand-chose. Mais personne en Suisse ne se penche sur le problème. Ni le Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO), ni les offices cantonaux du travail, ni les milieux scientifiques ne veulent étudier la question. Aucun ne peut donner de renseignements sur le nombre de soignants travaillant au noir. Tout ce que l’on sait – en consultant les chiffres des pays voisins – est que ce nombre est énorme. L’Italie, pays où la prise en charge des proches âgés est une affaire strictement familiale, présente une situation très préoccupante. Les aides de l’Etat y sont minimales, ce qui engendre un nombre ahurissant d’emplois illégaux dans ce domaine. L’Autriche en revanche présente un bilan moins sombre: le travail au noir dans l’économie des soins et de la prise en charge y est en recul depuis que le pays accorde aux personnes employées dans le domaine le statut d’indépendant. En conséquence, trois personnes sur quatre travaillant dans ce secteur sont aujourd’hui déclarées. Toutefois, même si elles travaillent désormais dans la légalité, leur protection n’est pas encore optimale. Dans les pays du Nord, la situation est beaucoup moins préoccupante, notamment parce que les personnes âgées ont droit à une prise en charge à domicile payée par l’Etat.

En Suisse, on peut agir sur trois plans: à court terme, le SECO devrait commander une étude permettant d’évaluer l’importance du travail au noir dans les emplois de prise en charge 24 h/24. A moyen terme, l’Etat devrait prendre des mesures permettant de réduire ces emplois au noir. Les soins à domicile sont devenus un marché avec lequel de plus en plus de gens gagnent leur vie. Ce n’est donc plus une affaire privée, et les autorités doivent tenir compte de cette évolution. A long terme enfin, il faudrait que la Suisse promeuve le droit à une prise en charge des personnes âgées, conformément à la Constitution fédérale. Les communes adoptent, vis-à-vis de la prise en charge des personnes âgées, une attitude d’économie à courte vue qui laisse la porte ouverte au travail au noir et aux conditions de travail précaires.

* Responsable de Caritas Care. Caritas Suisse sert d’intermédiaire depuis cinq ans au placement de personnel soignant venu des pays de l’Est, en valorisant les engagements corrects et les conditions de travail équitables et favorisant ainsi une migration équitable du personnel soignant.

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