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Formation agricole: une révision discutable

Carnets paysans

Jusqu’ici, la formation initiale d’agriculteur, soit le Certificat fédéral de capacité (CFC), s’obtenait après trois ans de formation couvrant un ensemble de compétences agricoles. Cette formation initiale rassemblait une diversité d’élèves et de perspectives dans une même classe, tentant d’élaborer une vision large des enjeux agricoles suisses et d’offrir un apprentissage pluriel, bien que le maraîchage, la viticulture et l’arboriculture constituent déjà des CFC à part. La révision de la formation initiale propose désormais deux années de formation commune avant une dernière année d’orientation à choix: grandes cultures, grandes cultures bio, élevage bovin, élevage de porcs, ou agriculture d’alpage et de montagne. Ces trois ans de CFC obligatoire pourront être suivis, de manière facultative, par une quatrième année donnant un deuxième domaine de spécialisation.

L’introduction d’années de spécialisation dans la formation initiale constitue un changement majeur qui n’est pas sans conséquences. Pour les exploitations, se spécialiser davantage implique souvent une fragilité et une dépendance accrue aux intrants et aux entreprises d’amont et d’aval. Les fermes suisses ont historiquement obéi à cette évolution structurelle de spécialisation, et elles ne sont aujourd’hui plus que 8% en production mixte (animale et végétale)1>OFS (2023).. La dernière révision inscrit la formation agricole comme un pas supplémentaire en direction de, et non en résistance à, cette logique qui nous éloigne toujours plus de modèles de fermes diversifiées, autonomes et capables d’adapter leurs activités aux évolutions climatiques et économiques des marchés. Cette spécialisation se fait de plus au prix d’endettements, compliquant les transmissions de ces fermes devenues trop chères, contribuant ainsi à freiner l’accès à la terre pour une jeunesse formée. La situation est d’autant plus ironique que les détracteurs d’une agriculture diversifiée justifient parfois l’agrandissement et la spécialisation des fermes par le manque de force de travail humaine et l’hypothétique constat d’une profession agricole en désaffection2>Lire notre chronique du 22 février «Une désertion paradoxale»..

La révision de la réforme agricole entrera en vigueur à partir de l’année scolaire 2026-2027. Elle est l’aboutissement de discussions de plusieurs années, sur la base desquelles un plan de formation renouvelé avait été proposé par l’Organisation du monde du travail AgriAliForm. L’ordonnance suisse sur la formation professionnelle exige en effet que celle-ci soit réexaminée au moins tous les cinq ans. Les projets d’ordonnance de la formation initiale agricole ont ensuite fait l’objet de consultations internes auprès des organisations membres d’AgriAliForm et des commissions de formation professionnelle de divers cantons suisses, dont les avis divergent hautement selon les réalités agricoles locales. Les régions d’agriculture de montagne ont ainsi tendance à pousser pour un allègement de la formation afin d’accélérer des reprises de fermes déjà difficiles. Les organisations professionnelles majoritaires occupent bien sûr dans ces négociations un poids plus important, qu’elles veillent à aligner avec les pratiques agricoles qu’elles soutiennent. Justifiant la nécessité de révision de la formation, elles énoncent les défis auxquels l’agriculture est confrontée dans l’ordre suivant: numérisation, spécialisation et changement climatique3>Agri-job (2023)..

Les membres du corps enseignant des écoles d’agriculture romandes soulèvent certaines réserves face à cette révision. Certains prévoient un affaiblissement intensifié de la résilience économique des fermes face à la libéralisation des marchés agricoles. L’émergence du bio dans les écoles dès les années 1990 avait déjà contribué à une rupture entre élèves et modèles agricoles poursuivis. Qu’en sera-t-il du maintien d’un dialogue, d’une ouverture d’esprit et d’une appréhension large du paysage agricole suisse au sein d’une formation érigeant la spécialisation et la sectorisation comme modèle d’avenir? Si la responsabilité des écoles d’agriculture n’est pas de révolutionner le modèle agricole, les formations qu’elles proposent doivent préparer à l’agriculture qui sera pratiquée demain. Comment ne pas s’inquiéter qu’une telle révision inscrive encore un peu plus sûrement dans notre avenir l’évolution structurelle de spécialisation et de désertion humaine du travail de la terre?

Notes[+]

Mathilde Vandaele est doctorante en sciences de l’environnement sur les questions agricoles.

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mercredi 9 octobre 2019

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