Chroniques

Enfant à protéger ou étranger à expulser?

Au bureau des exilé-e-s

«Je implore toi s’il vous plaît dormir couloir.» Mirjet est fatigué. Il me demande de lui trouver un hébergement. Toutes mes chambres sont prises. Impossible de lui trouver un hébergement tant qu’il n’est pas reconnu mineur. Ces mots, il ne me les dit pas. Il écrit en albanais sur l’ordinateur. C’est Google Traduction qui me les dit. C’est plutôt marrant, d’habitude, les traductions déformées par le logiciel. Là, c’est pas marrant du tout. La tristesse, la fatigue et la colère s’unissent pour former des larmes au fond de ses yeux bleus. Quand il claque la porte du bureau en sortant, résigné, j’ai l’impression d’être aussi exténuée que lui. Et comme souvent, je me demande ce qui m’a pris d’accepter ce travail.

Je suis éducatrice auprès des mineurs isolés étrangers, les MIE. Les MIE sont, comme l’indique la petite case administrative dans laquelle ils doivent se contorsionner pour gagner leur place dans l’eldorado européen, des personnes de moins de 18 ans; de nationalité étrangère; ne disposant pas de famille en France pouvant les prendre en charge. Ces jeunes sont inexpulsables et ont le droit d’être placés en foyer. On est un enfant à protéger avant d’être un étranger à expulser, jusqu’à nouvel ordre. Sauf qu’il ne suffit pas de se déclarer mineur, isolé et étranger pour s’assurer une place au chaud et la garantie de ne pas être renvoyé dans son pays en charter. Le département, collectivité disposant de cette compétence via l’aide sociale à l’enfance, doit d’abord évaluer la situation de chacun de ces jeunes. Il s’agit de vérifier s’ils ont vraiment moins de 18 ans et s’ils sont vraiment tout seuls en France.

Derrière la formule «évaluation de la situation», il y a notamment un entretien eentre mes collègues et moi. On recueille les documents d’identité et les déclarations du jeune en question – sa vie dans son pays, les raisons de son départ, son parcours migratoire, ses projets, etc. On envoie ensuite un rapport au département qui est chargé de reconnaître cette personne comme mineur isolé étranger, ou non. En attendant la décision, les jeunes doivent être «mis à l’abri».

En théorie. Car nous n’avons pas assez de places d’hébergement pour tout le monde. Mirjet en est un parmi des dizaines d’autres ce jour-là. Puis, au bout de la procédure, la décision du département tombe. Positive ou négative. On est mineur et protégé ou majeur et sans papiers. Le foyer ou la rue. On vous rattrape sur la rive ou on vous jette dans la houle.

Je n’ai pas vraiment le temps de chercher à savoir si Mirjet a trouvé un refuge pour alléger sa fatigue. Il est 14 heures, nous avons rendez-vous avec une jeune fille.

* Rozenn Le Berre, éducatrice, a travaillé dix-huit mois pour une administration française chargée de l’audition de jeunes migrants (les prénoms ont été modifiés). Sur la base d’entretiens, elle établissait les dossiers permettant à l’autorité compétente de se prononcer sur l’octroi – ou non – du statut de «mineur isolé étranger» (MIE). Retrouvez sa chronique chaque mercredi jusqu’au 24 août.

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Au bureau des exilé-e-s

mercredi 6 juillet 2016
Rozenn Le Berre, éducatrice, a travaillé dix-huit mois pour une administration française chargée de l’audition de jeunes migrants (les prénoms ont été modifiés). Sur la base d’entretiens, elle...

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