Dans un essai contribuant aux faillites de ses éditeurs successifs¹>André Langaney, Le sauvage central, Ed Chabaud, puis Sang de la terre, puis…, j’ai parlé de la mort comme du «sommeil définitif». Ce qui me semble résumer les réponses objectives que l’on peut faire aux gens qui se demandent ce qu’il y a après. Certes, ce n’est pas totalement exact, puisque l’on peut rêver pendant le sommeil, et pas après la mort. De même qu’en principe, on ne se réveille pas post mortem. Malgré cela, le sommeil est une perte de conscience, comme la mort, mais qui ne détruit pas ce système nerveux qui produit la conscience. Alors, ce qu’il y a après la mort? Peut-être le monde et les autres, tels qu’on se les représente avant. Mais rien ne le vérifiera puisqu’exister ou se représenter, la conscience perdue, ne peut se concevoir.

Ce qui nous ramène à Godard, et à son Pierrot le fou, que la coïncidence temporelle compare à Elizabeth two, brexitée! Notre cinéaste a fait le libre choix final, que refusait sans doute la vieille croûte couronnée, modèle de la réaction internationale anachronique. Comme les religieux de tous poils, qui promettent enfers et paradis, vierges ou verges, béatitudes et tourments… plus tard!

Le but est évident: le paroissien qui se sait définitivement mortel est incontrôlable, surtout à la fin, quand le crime n’encourt plus de châtiment! Pour continuer à le manipuler, pour qu’il serve les intérêts des puissants, il faut donc lui promettre des récompenses et des punitions qui, crédibles ou pas, le poussent à agir selon le prétendu bien ou le décrété mal. On ne croit pas vraiment à l’enfer ou au purgatoire mais, au fond, s’ils existaient quand même? Rien que d’y penser, l’image que l’on vous en a construite donne des frissons dans le dos!

Les règlements de comptes annoncés post mortem permettent donc de taguer, par des émotions positives ou négatives, vos actions alternatives possibles et de manipuler vos choix. C’est le b.a.-ba des morales religieuses, qui établissent une comptabilité équilibrée des actes du vivant et de leurs sanctions promises, après la mort. Les sacrifices héroïques des martyrs ou des saints leur vaudront le paradis ou des pucelles, les crimes des impies et des apostats leur feront subir les tortures de l’enfer!

Ce qui interroge, c’est que les régimes politiques athées ou laïques n’ont pas réussi à construire des morales sociales rationnelles et démocratiques aussi efficaces et respectées que ces morales religieuses aberrantes. Presque tous ont versé dans des systèmes dictatoriaux ou liberticides, régnant par la terreur et le mépris des droits individuels. La sensibilité au culte empathique de la personnalité est sans doute le principal écueil à la conception d’une morale laïque. Nous ne cessons de guider nos pensées et nos actes en nous référant à des individus, considérés comme bons ou mauvais. Avec, pourtant, une connaissance médiocre, souvent fausse, de leurs réalités vécues!

Dans le monde de la communication bavarde incontrôlée, les influenceurs, les gourous, les savants autoproclamés ou les sportifs remplacent les prêtres, les saints et les prophètes, pour le profit de ceux qui contrôlent les supports de communication et le pouvoir. Sans aucun doute, les modèles humains communiquent des émotions morales avec plus d’efficacité que les lois, les règles et les écrits pertinents. C’est pour cela qu’il est si facile de détourner les gens de toute cohérence et de l’universalité souhaitable. Ce n’est pas un hasard si, dans de nombreux pays religieux ou totalitaires, on considère les droits individuels des humains comme un particularisme occidental, contre lequel il convient de lutter pour défendre les cultures et les religions locales!

Dès lors, que pèsent le droit à mourir dans la dignité, ou celui des femmes à disposer de leur corps, face à de talentueux prédicateurs qui culpabilisent les intéressé·es en hurlant au crime et en promettant l’enfer, perpétuant une gouvernance par la peur, archaïque et détachée du réel?