Agora

BCE: politique de l’offre ou de la demande?

La récente décision de la Banque centrale européenne (BCE) de racheter aux banques des créances compromises va dans le sens de la politique de l’offre, aujourd’hui dominante dans le néolibéralisme. A savoir, inciter les banques à prêter aux entreprises pour que celles-ci investissent. Douce illusion, les banques investiront là où leurs rendements seront les plus élevés et non pas là où les besoins de financement sont nécessaires. Pour sortir l’Europe de la crise et d’une possible déflation, il convient de stimuler la demande en favorisant les salaires et la réponse aux besoins de la population. Dans une précédente chronique1 value="1">Lire «Les entreprises créent l’emploi! vraiment?», B. Clerc, Le Courrier du 4 octobre 2014., nous avons montré que c’est la demande en biens et services qui est à la base de la création d’emplois et non pas les entreprises, car ces dernières ont pour objectif la réalisation du profit. Sans cette perspective, elles ne développent pas d’activités et, par conséquent, pas d’emplois. Aujourd’hui, nous allons nous interroger sur le concept de demande. Nous ne porterons pas de jugement qualitatif ou moral sur la nature de cette demande. Nous nous contenterons d’essayer de comprendre comment elle s’articule avec la notion de croissance.

Nous distinguerons tout d’abord la demande en provenance des individus ou des ménages, celle des entreprises et celle des collectivités publiques. La demande des individus peut se décomposer en deux parties. La première comprend tous les biens indispensables à la vie quotidienne: nourriture, habillement, logement, transports, soins médicaux, instruction, culture. Ces biens sont relativement incompressibles et constituent le socle de base de l’existence. La seconde comprend tout ce dont un individu pourrait se passer sans remettre en cause son existence, par exemple des voyages, des objets de luxe, etc. La demande des entreprises est constituée de tous les biens indispensables à la réalisation de la production, qu’il s’agisse de produits ou de services (matières premières, locaux, machines, etc.). Enfin la demande des collectivités publiques repose sur tout ce qui est considéré comme nécessaire au fonctionnement général d’une société donnée (routes, bâtiments publics, écoles, hôpitaux, armements, etc.). C’est l’agrégation de cet ensemble de demandes qui alimente la croissance économique ou sa décroissance, si celle-ci est en régression.

Il faut ensuite faire la distinction entre la demande intérieure qui provient d’un territoire national donné et la demande extérieure qui provient d’autres territoires nationaux.

Enfin nous introduirons une nouvelle variable qui consiste à distinguer la demande solvable de la demande non solvable. La demande solvable est celle qui provient des personnes et entités disposant des moyens monétaires d’acheter un bien ou un service. La demande non solvable est celle en provenance d’individus ou de collectivités qui ne disposent pas des moyens monétaires ou de moyens monétaires insuffisants. On peut donner deux exemples de demande non solvable. L’habitant de l’Inde ou d’un pays africain qui mange une fois par jour par manque de ressources dispose d’une demande supérieure (manger deux ou trois fois par jour) mais il ne peut la satisfaire par absence de moyens, alors que l’offre de nourriture au niveau mondial est suffisante. Autre exemple, la personne à l’aide sociale en Suisse qui souhaiterait s’offrir un ordinateur et qui doit renoncer par manque de ressources financières.

Le propre de la production capitaliste est de ne s’intéresser qu’à la demande solvable, car c’est la seule qui lui permet de réaliser du profit. Dès lors, toute demande non solvable, même si elle est indispensable aux besoins humains, n’intéresse pas le capital, sauf si cette demande est rendue solvable par des subventions publiques, par exemple. Ainsi une économie peut être en croissance par le développement de la demande solvable et en même temps ne pas satisfaire la demande de biens essentiels parce que non solvables. La croissance de l’industrie du luxe dans de nombreux pays occidentaux, et notamment en Suisse, vise à répondre à la demande solvable des nouveaux riches dans les pays émergents, indépendamment du fait que la majorité de la population de ces pays ne parvient pas à satisfaire l’ensemble de ses besoins vitaux.

De même, une économie en récession produira moins, alors que la demande est bien présente, mais qu’elle ne peut être satisfaite en raison de la baisse du pouvoir d’achat des ménages ou des collectivités publiques. L’exemple actuel de la Grèce est à cet égard illustratif.

Si nous faisons abstraction de nos schémas de pensée basés sur l’existant, nous devons donc constater que la production de biens et services ne s’effectue pas d’abord pour répondre aux besoins prépondérants de la population, mais en fonction des exigences du capital.
 

Notes[+]

* Membre de Solidarités, ancien député.

Opinions Agora Bernard Clerc

Autour de l'article

Connexion