Chroniques

Afghanistan 1979

Transitions

Un symbole, une image qui fait le tour du monde: non, ce n’est pas le premier américain foulant le sol lunaire, mais le dernier soldat quittant l’Afghanistan…

Si je m’autorise à ajouter mon grain de sel au flux de paroles et d’images qui déferle sur nos médias au sujet de la déroute étasunienne, c’est parce que l’invasion de ce pays par l’armée soviétique en 1979 provoqua en moi un sérieux coup de sang, suivi d’une rupture. Entre les Etats-Unis et l’Union soviétique, dans ces années-là, la guerre était froide, mais elle nous chauffait les neurones!

A Berne, lors de la réunion du comité central du Parti suisse du travail consacrée à cette intervention militaire, alors que le Secrétaire général s’évertuait à nous la présenter comme un geste de solidarité pour répondre à l’appel des frères communistes afghans en butte aux manigances américaines, nous fûmes quelques-uns à marteler une fois pour toutes qu’il n’y avait pas d’un côté les gentils et de l’autre les méchants, mais deux impérialismes, aussi redoutables à l’Est qu’à l’Ouest. Notre résolution appelant à condamner l’intervention ne récolta au vote que 5 voix contre 50. Nous prîmes fait et cause pour le camp de la résistance, celle du charismatique Commandant Massoud.

Les talibans viennent de mettre fin non pas à vingt, mais à quarante-deux ans de guerre et deux occupations, étroitement imbriquées l’une dans l’autre. Ils sont les héritiers directs des moudjahidines que les USA soutinrent et armèrent avant même l’intervention soviétique. Les guerres ne s’empilent pas l’une sur l’autre en couches étanches. Elles se nourrissent l’une de l’autre, selon les renversements d’alliances qu’entraînent les rapports de force et les intérêts géopolitiques des uns et des autres. Les alliés d’hier sont les ennemis d’aujourd’hui, et la guerre ne s’arrête jamais…

Que ce soient les Etats-Unis, avec ou sans l’OTAN, avec ou sans l’Union européenne ou la France, et maintenant la Russie, la Turquie ou la Chine; que ce soit en Irak, au Sahel, en Syrie ou en Lybie, partout les manœuvres guerrières ont le même résultat: créer le chaos et contribuer à l’essor des islamistes et de leurs émirats. Les guerres contre le terrorisme, au nom de la démocratie et du progrès ne sont qu’une mystification: elles font plus de ravages que les djihadistes eux-mêmes.

Selon différentes sources, ce sont entre 1000 et 2000 milliards de dollars que les Américains ont consacré à cette opération. Contraste saisissant: tous les jours sur nos écrans, la Chaîne du bonheur nous appelle à faire un don en faveur de la population afghane qui manque de tout et que la famine menace! Où sont donc passés ces milliards sinon dans la poche de dirigeants corrompus et dans l’armement de soldats afghans qui n’ont jamais réussi à être opérationnels. «Des arsenaux entiers disparurent avant même d’être utilisés, filant vers la rébellion!», note un rapport du Pentagone du 17 août1>Cité par le site Slate.fr, le 19 août 2021. Et si, par chance, un peu de cet argent a été consacré à former des professionnel·les capables de faire fonctionner le pays, ils et elles ont été exfiltré·es avec les soldats américains. C’est une manière inédite de solder les comptes: les ressources militaires aux talibans, les ressources humaines aux Américains! Quel gâchis! Quel désastre! Si au moins cette opération ratée s’était limitée à être inefficace! Mais non: 2500 soldats américains et 50 000 civils afghans y ont laissé leur vie… Et ce n’est pas fini: le naufrage américain en Afghanistan préfigure peut-être celui qui se prépare dans le Sahel.

Afghanistan 1979, Agadez (Niger), 1967. A cette date, dans les montagnes de l’Aïr, au Niger, nous étions parmi les premiers à nous intéresser à ces populations, éleveurs touaregs ou d’autres ethnies, ignorées du gouvernement et loin des centres de décisions. Le pays souffrait alors d’une famine désespérante. Nous étions des touristes bien intentionnés, laissant un peu de nourriture dans les villages et les campements. Aujourd’hui, ce sont peut-être les djihadistes de l’EI ou d’Al Qaïda qui leur rendent visite. Pas forcément pour dévaster et massacrer les habitants: les islamistes lancés à la conquête d’un hypothétique califat, connaissent mieux que les soldats français, pour les avoir vécues, leurs dures conditions de vie et leurs besoins.

Dans les années 1980, c’est donc à la figure du Commandant Massoud que s’accrochait notre espoir. Avant d’être assassiné par Al Qaïda, le lion du Panchir et son Alliance du Nord combattaient aussi bien les soviétiques que les moudjahidines. Aujourd’hui, les observateurs notent avec dédain qu’il n’avait de pouvoir que celui que les médias occidentaux lui accordaient. Cela n’empêche pas son fils de reprendre le combat. Frêle espoir? En tout cas, ce pays va nous occuper le cœur et l’esprit encore longtemps.

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Anne-Catherine Menétrey-Savary est une ancienne conseillère nationale. Dernière publication: Mourir debout. Soixante ans d’engagement politique, Editions d’en bas, 2018.

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lundi 8 janvier 2018

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