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Femmes en prison, une minorité ignorée

En 2016, une motion exigeant la création d’une prison pour les femmes a été déposée au Grand Conseil genevois. Au motif que l’absence d’un établissement pénitentiaire pour femmes relève d’une discrimination de genre. Bien souvent considérée comme un thème minoritaire, la détention au féminin pose pourtant de nombreuses questions.
L’unique établissement pénitentiaire exclusivement réservé aux femmes OFFICE DE L'EXECUTION JUDICIAIRE/BERNE
Suisse

En Suisse, la proportion des femmes détenues n’est que de 5,6%1 value="1">Office fédéral de la statistique (OFS), 22 novembre 2016. et ce faible chiffre explique certainement pourquoi il n’existe qu’un seul établissement pénitentiaire réservé aux femmes, celui de Hindelbank (BE). Pour des raisons économiques, les cantons privilégient en effet la construction de prisons pour hommes. Ainsi, sur près de 2300 places dans les prisons romandes, seules une centaine sont dévolues aux femmes condamnées, en plus des 66 places mixtes des établissements pour mineurs de Palézieux (Vaud) et de La Clairière (Genève)2 value="2">Ces données proviennent des offices pénitentiaires cantonaux et représentent la situation en janvier 2017..

Dans le canton de Genève, l’établissement pour femmes de Riant-Parc a été fermé en 2014, car jugé trop onéreux. Un pavillon à Curabilis, assigné à l’exécution de peine, accueillait également les femmes, mais elles ont été remplacées par des détenus masculins souffrant de troubles psychiatriques, bien plus nombreux. Et pendant ce temps, La Tuilière à Lonay (VD), l’unique prison pour femmes de suisse romande, qui accueille néanmoins également des détenus masculins, déborde depuis fin 2016. Les cantons romands tentent dès lors d’envoyer leurs détenues à la prison de Hindelbank, mais avec 107 femmes incarcérées, dont 15 Romandes, le pénitencier bernois affiche complet3 value="3">Ces données sont relatives aux statistiques annuelles de décembre 2016..

Ainsi, les places dévolues aux femmes condamnées manquent, en préventive comme en exécution de peine et elles sont dès lors bien souvent prises en charge dans des sections spéciales au sein d’établissements carcéraux pour hommes.

Une motion déposée au Grand Conseil de Genève en avril 2016 tire la sonnette d’alarme. Elle demande à l’Etat de créer rapidement un secteur pénitentiaire réservé aux femmes condamnées, afin que ces dernières aient la possibilité d’exécuter leur peine dans des conditions correctes et conformes aux normes légales. L’auteur de la motion, le Vert Jean-Michel Bugnion, membre de la commission des visiteurs, y voit en effet une forme de discrimination envers les détenues: «les hommes ont davantage d’espoirs de rejoindre un endroit adapté à leur situation pénale»4 value="4">P. Cancela, «Une motion exige la création d’une prison pour femmes», Le Courrier, 22 avril 2016..

La motion est acceptée à l’unanimité en septembre 2017 et est dès lors renvoyée au Conseil d’Etat. Pierre Maudet, conseiller d’Etat en charge du Département de la sécurité et de l’économie, convient que la situation actuelle à Genève n’est pas satisfaisante et qu’une solution pourrait être la création d’un secteur féminin dans le futur établissement des Dardelles, où le premier coup de pioche est prévu pour 2018. «Le seul hic, c’est que l’on ne peut pas en être sûr. Il faut une structure pour femmes avant cela», commente Jean-Michel Bugnion5 value="5">Ibid.

Les Règles de Bangkok et le traitement des condamnées

Dès lors, au vu de la situation, comment répondre de manière appropriée aux besoins spécifiques des détenues, notamment en ce qui concerne les prises en charges médicales, les fouilles et la maternité?

Dans ce contexte, il est utile de rappeler qu’au niveau international, les règles en matière d’exécution des peines prennent de plus en plus en considération les femmes détenues. En effet, en 2010, l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté les règles dites de Bangkok, marquant dès lors une étape décisive vers la reconnaissance des besoins spécifiques de la détention au féminin. Elles viennent ainsi compléter et étendre les deux ensembles de règles minima de l’ONU: celles pour le traitement des détenus et celles pour l’élaboration de mesures non privatives de liberté, appelées Règles de Tokyo. Même si les Règles de Bangkok relèvent de la soft law (droit souple) et ne sont en soi pas juridiquement contraignantes, ces normes concrétisent toutefois des garanties du droit international contraignant, notamment celles promises par la Convention européennes des droits de l’homme. La Suisse a accepté ces règles le 27 février 2013.

Ces recommandations sont essentielles pour la protection du droit des femmes en détention. Elles rappellent quels sont les besoins spécifiques des détenues et la manière de les prendre en considération: «nombre de Règles de Bangkok traitent de domaines qui ne concernent pas forcément uniquement les femmes détenues. Elles mettent toutefois en évidence les besoins spécifiques des femmes et soulignent la nécessité de mettre sur pied, également dans le contexte des établissements de détention, des règles sensibles au genre. Il s’agit par exemple des infrastructures sanitaires, de l’accompagnement médical, psychologique et psychiatrique, des contacts avec la famille et avec le monde extérieur ainsi que la réinsertion après la libération», précise le Centre suisse de compétence pour les droits humains (CSDH) dans un article relatif à la prise en considération des besoins des détenues.

Les Règles de Bangkok couvrent ainsi de nombreux domaines du quotidien des détenues, mais certains points sont plus particulièrement mis en avant, notamment la nécessité d’une prise en charge médicale préventive adaptée. Au même titre que les femmes à l’extérieur, les détenues doivent notamment pouvoir bénéficier d’un examen de dépistage du cancer du sein et des cancers gynécologiques en dehors de l’établissement carcéral.

La dignité des femmes figure également au centre des préoccupations: «[…] les mesures de contrainte, telles que les menottes, sont interdites pour les femmes enceintes; il en va de même pour le régime cellulaire ou l’isolement disciplinaire pour les femmes ayant des enfants ou qui allaitent»6 value="6">«Coup de projecteur: les femmes en détention – les Règles de Bangkok: 70 règles concernant le traitement des détenues», bulletin info, Office fédéral de la justice, février 2015..

Une dignité qui doit particulièrement être respectée lors des fouilles corporelles, effectuées obligatoirement par du personnel féminin. De plus, les Règles de Bangkok soulignent que «d’autres méthodes de détection utilisant, par exemple, des scanners doivent être conçues pour remplacer les méthodes de fouilles à nu et les fouilles corporelles intégrales et éviter ainsi les effets psychologiques, et éventuellement physiques, préjudiciables de telles fouilles»7 value="7">«Règles des Nations Unies concernant le traitement des détenues et l’imposition de mesures non privatives de liberté aux délinquantes», Assemblée générale des Nations Unies, 16 mars 2011..

Un point également primordial et qui est source de nombreux défis, est la question du lien mère-enfant, qui revêt d’une importance capitale en détention.

La question de la maternité en détention

La non-séparation d’une mère et de son enfant est inscrite dans la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant (CDE). Un principe qui s’applique également auprès des mères détenues. En Suisse, le Code pénal prévoit que la mère puisse vivre avec son enfant jusqu’à l’âge de 3 ans, tout en prenant en considération l’intérêt du petit. Une problématique qui fait l’objet d’une attention particulière, tant auprès du personnel pénitentiaire que du Service de protection des mineurs. «En vertu de l’article 80 du Code pénal (CP), la cellule devrait être évitée, tout comme les contacts directs avec les autres détenues. L’autonomie grandissante de l’enfant et sa socialisation doivent être prises en considération, afin de préparer progressivement l’enfant à la séparation d’avec sa mère. Ceci en application du droit d’être informé (art. 17 CDE), du droit de participer (art. 12 CDE) et du respect de son intérêt supérieur lors de la décision (art. 3 CDE)8 value="8">«Le droit de l’enfant de maintenir des relations avec son/ses parent(s) incarcéré(s), CSDH, 1er février 2012..

Si une séparation brutale avec la mère peut amener l’enfant à développer des carences affectives, l’incarcération ne doit pas non plus peser sur la croissance de l’enfant. Certains aménagements sont alors possibles, comme une prise en charge à l’extérieur de la prison grâce à des structures institutionnelles ou associatives.
A l’établissement pénitentiaire de Hindelbank, tout comme à La Tuilière, pendant que les mères travaillent la journée, les enfants sont pris en charge dans une garderie, à l’extérieur de la prison. En dehors de leur temps occupationnel, les mères sont responsables de leurs enfants. Dans ces deux établissements, des cellules sont ainsi spécialement aménagées pour les mères et leurs nourrissons, reliées par un espace commun et séparées des autres secteurs cellulaires. Des aménagements qui ne peuvent néanmoins exister qu’avec l’accord de la mère qui, même emprisonnée, continue à exercer son autorité parentale et ses droits envers son enfant.

Au niveau international, si les Règles de Bangkok soulignent l’importance d’assurer un cadre adapté pour l’enfant en appelant les «Etats […] à développer, dans le respect des besoins spécifiques des femmes, des alternatives à la détention préventive et à la condamnation […]»9 value="9">«Prendre en compte les besoins spécifiques des femmes détenues», CSDH, 14 mars 2013., elles ne prévoient toutefois pas de dispositions particulières en ce qui concerne la séparation entre mère et enfant. Une problématique qui n’est évidemment pas spécifique aux femmes, mais pour lesquelles les répercussions sont nombreuses car, dans bien des familles, c’est la mère qui s’occupe principalement des enfants.

A la prison de Hindelbank, où près de deux tiers des détenues sont des mères de famille, les contacts avec les enfants figurent au centre des préoccupations: «toutes bénéficient du soutien psychosocial et des conseils de leur référent ou de la thérapeute. Il est notamment question de la relation qu’elles entretiennent avec leurs enfants, de la gestion de leur sentiment de culpabilité et d’échec vis-à-vis de ces derniers, mais aussi de leur manière d’aborder le délit et la peine avec eux», explique Annette Keller, directrice de l’établissement10 value="10">«Coup de projecteur: Les femmes en détention – Un établissement à l’accent féminin», bulletin info, février 2015..

Néanmoins, cette séparation peut être ressentie de manière très vive, du fait que cette prison accueille des détenues qui viennent de toute la Suisse, voire de pays étrangers. Eloignée de par sa situation géographique, Hindelbank ne favorise pas les femmes condamnées originaires de Suisse orientale ou romande. Le coût et la longueur du trajet peuvent décourager les familles à venir en visite. Une séparation avec les enfants encore plus difficile à vivre pour les détenues étrangères. Pendant que ces femmes purgent leur peine, leurs enfants se retrouvent non seulement privés de leur mère mais également dépourvus de ressources financières, pour payer, par exemple, l’école.

«Les réactions des enfants sont très diverses par rapport à l’emprisonnement et peuvent se manifester par de la tristesse, de la colère, de l’inquiétude ou des sentiments d’abandon»11 value="11">«Coup de projecteur: Les femmes en détention – maman est en prison», bulletin info, février 2015., évoque Viviane Schekter, directrice de Relais enfants parents romands (REPR). Pourtant, les effets négatifs de l’emprisonnement sur les enfants sont rarement pris en considération au cours des procédures pénales, notre système judiciaire étant avant tout centré sur les principes de la responsabilité individuelle. «Les enjeux, les droits et les devoirs des mères détenues, et en miroir ceux de leurs enfants, devraient […] être pris en compte de manière plus importante dans les décisions»12 value="12">Ibid, rajoute Viviane Schekter.

Entre la douleur de la séparation, la culpabilité et les peurs quant au développement de la relation avec leur enfant, certaines détenues vivent un cauchemar en prison. Face à l’épreuve, les femmes font alors souvent preuve d’une grande solidarité entre elles. Evidemment, les tensions existent, mais les altercations violentes sont plutôt rares par rapport aux établissements d’exécution des peines pour hommes. Outre cette solidarité, au sein des prisons pour femmes, le style féminin prédomine: les cellules sont bien souvent confortablement aménagées et décorées; régulièrement, des odeurs de gâteaux s’échappent des cuisines des sections et les cosmétiques sont des articles incontournables dans le magasin de la prison.

Ainsi, la particularité de la détention des femmes réside non seulement dans le petit nombre de personnes condamnées, mais avant tout dans les différences fondamentales qui existent avec les hommes. Des différences qui doivent être prises en considération au risque de ne pas répondre à leurs besoins et d’alourdir un peu plus leur peine.

Notes[+]

Groupe Infoprisons. Texte paru dans le bulletin n° 21 d’Infoprisons, novembre 2017, www.infoprisons.ch

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