Édito

Rendre l’argent ne suffit pas

Biens mal acquis

Sur 2,2 milliards de dollars détournés de la Banque centrale par le régime de Sani Abacha, dictateur nigérian au pouvoir entre 1993 et 1998, 321 millions seront restitués par la Suisse. Lundi, un accord a été signé en grande pompe entre la Suisse, le Nigeria et la Banque mondiale. Le Département fédéral des affaires étrangères se félicitait de cette étape décisive, qui «a conféré à la Suisse une grande visibilité et renforcé son rôle prééminent dans ce domaine sur la scène internationale». Mais la Suisse ne saurait se satisfaire de ce satisfecit autodécerné.

Certes, la restitution de cette somme est une nouvelle à saluer. Et des garde-fous ont été mis en place pour éviter de répéter la triste expérience des premiers 700 millions qui avaient été rendus en 2006 mais dont la moitié s’étaient envolés en route. Les ONG suisses et nigérianes qui craignaient pour le sort réservé à ces 321 millions (Le Courrier du 11 avril 2015) ont donc été entendues. Reste que le processus a été complexe et long. Vingt ans ont passé depuis la mort du dictateur et certains acteurs de ce détournement ne seront jamais jugés.

Grande est la tentation d’utiliser cette restitution comme une preuve de bonne conduite helvétique dans la lutte contre le blanchiment d’argent. Un tour de passe-passe un peu facile: agir pour rendre une partie des avoirs de potentats une fois ces derniers déchus est une chose. Combattre activement de tels détournements en amont en est une autre. Et les règles actuelles pour geler les avoirs illégaux demeurent insatisfaisantes, ainsi que le soulignait lundi une lettre ouverte signée par plusieurs ONG dont Public Eye, Alliance Sud et Transparency International. Adressée au Conseil fédéral, elle citait le cas d’un autre dictateur détrôné: Hosni Moubarak, ancien président égyptien, dont des centaines de millions d’avoirs sont actuellement bloqués. Mais l’échec de la coopération entre les autorités judiciaires égyptiennes et suisses laisse craindre que ces sommes retournent à la famille Moubarak.

La Confédération a encore du chemin à faire pour se doter d’un dispositif légal efficace. Les ONG demandent par exemple de renverser le fardeau de la preuve, ce qui exigerait de prouver l’origine légale des fonds saisis. Elles réclament aussi le renforcement des lois susceptibles d’empêcher des dictatures de placer leurs fortunes sur des comptes suisses. Car, pour les 321 millions d’avoirs d’Abacha restitués, combien de milliards sont-ils passés entre les mailles du filet? I

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