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Sans-papiers sans sida

Contrairement à la tendance générale observée en Europe, le sida explose en Russie. Le nombre de cas recensés a été multiplié par dix en quinze ans, et comme beaucoup ignorent leur séropositivité, l’épidémie pourrait être bien plus préoccupante encore.
Russie

Aujourd’hui, en Russie, le virus du sida dépasse nettement les catégories dites à risque, tels les toxicomanes. 871 000 Russes sont officiellement enregistré-e-s comme porteurs-ses du VIH. Mais, selon le Centre fédéral russe de lutte contre le sida, depuis cinq ans, le nombre des infections croit à un rythme annuel de 10%. Son directeur, Vadim Pokrovsky, estime qu’actuellement 1,4 million d’individus seraient séropositifs. Cette situation catastrophique tient, selon lui, à l’incapacité des autorités de coordonner une politique de prévention et à la négligence des problèmes sociaux et politiques (drogue, discrimination, conservatisme).

Ceci n’est peut-être pas très étonnant lorsque l’on sait qu’en 2016, les dirigeants de l’Institut russe d’études stratégiques, un organisme rattaché au Kremlin, émettaient une idée bien précise des causes de la propagation du virus: ils accusaient l’industrie des préservatifs, intéressée à commercialiser ses produits, d’inciter les jeunes, dont les mineurs, à avoir des rapports sexuels précoces.

Dans un rapport de 60 pages présenté en mai 2016 aux parlementaires russes, les auteurs stigmatisaient également la menace extérieure et l’utilisation du VIH comme élément de la guerre d’information contre la Russie…

C’est dans ce contexte que l’ONG pétersbourgeoise Nochlechka a lancé début septembre une vaste campagne d’information pour que les citoyens russes sans-papiers sans-abri puissent, eux aussi, se faire dépister. Rappelons qu’en Russie plusieurs millions de citoyens sont privés de tout droit faute de pouvoir s’enregistrer. On en compte plus de 60 000 à Saint-Pétersbourg où cette population, oubliée de l’administration, survit dans d’effroyables conditions. Nochlechka est l’une des rares ONG à leur venir en aide.

«Notre objectif est de permettre aux sans-papiers sans-abri d’avoir accès au dépistage, d’être informés du diagnostic et d’obtenir, si nécessaire, un traitement adéquat», explique le directeur de Nochlechka, Grigori Sverdlin. Qui précise: «Le sida n’est plus une maladie mortelle, à condition d’assurer un suivi médical et un traitement aux personnes séropositives. Le test donnera la possibilité de connaître les dimensions réelles de la propagation de la maladie parmi les sans-abri». Avec le souhait que chaque malade sans-papiers puisse au bout du compte obtenir un traitement.

Mais ce n’est pas gagné. Seuls certains hôpitaux pétersbourgeois octroient la trithérapie: le centre VIH de Saint-Pétersbourg, auquel les personnes enregistrées par Nochlechka peuvent accéder, et l’hôpital Botkina, mais seulement tant que le malade est hospitalisé.

Actuellement, l’Etat russe assure le traitement aux seuls citoyens munis du passeport ou de l’enregistrement intérieur (Propiska). Et encore. En effet, en juin dernier, le Ministère de la santé a coupé le budget de l’institut de référence en matière de lutte contre le VIH, mettant ainsi en danger la vie de plus d’un millier de malades. Dans pareil contexte, on ne peut que saluer la démarche de Nochlechka, en espérant que les personnes dépistées positives pourront être réellement soignées – malgré leur inexistence bureaucratique et l’absence totale d’appui étatique.

* Suisse Solidaire Nochlechka, www.suissesolidaire.org

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