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Gracias a la Violeta

L'Impoligraphe

Le 28 mars dernier, la présidente chilienne Michelle Bachelet inaugurait à Genève, au collège Voltaire, une plaque rendant hommage à Violeta Parra, sur les lieux du 15 rue Voltaire (démolis depuis lors) où elle vécut entre 1963 et 1964 avec son compagnon, Gilbert Favre. En 1965, Violeta revint au Chili. Gilbert l’y rejoignit. Et en repartit. En 1967, Violeta qui était née en 1917, se donnait la mort à cinquante ans, et «sa mort fut aussi un acte de rébellion», dit Luis Sepúlveda.

Je ne souviens plus de la date. Ni même du mois. Ni même de la saison. A peine de l’année: 1963. J’avais onze ans. Et un jour est arrivée chez nous une femme qui ne ressemblait à aucune de celles qu’on connaissait, d’un pays dont on n’avait à peine entendu parler. Elle s’appelait Violeta Parra. Elle venait avec son fils Angel et sa fille Isabel, nous confier quelque temps sa fille Carmen-Luisa et sa petite-fille Tita (pour Cristina), qu’on disait Titina, et qui avait l’âge de mon frère. Violeta arrivait à Genève avec son compagnon, Gilbert Favre. Elle s’installa chez Gilbert, dans son gourbi de la rue Voltaire. Angel et Isabel repartirent à Paris. Carmen-Luisa et Tita restèrent à Genève. Chez nous, à Onex. Parce que dans la «Cour des Miracles» du 15 rue Voltaire, nuls autres que Gilbert et Violeta ne pouvaient vivre – et surtout pas des enfants.

Comment nous était-elle arrivée, Violeta? Sans doute par les mêmes réseaux qui avaient amené chez nous des Algériens pendant la guerre d’Algérie et des Guinéens (dont Fodéba Keïta) pendant la décolonisation. Des réseaux communistes, du moins à l’origine, et dont nos parents, qui avaient été membres du Parti du Travail et l’avaient quitté pour suivre Léon Nicole dans sa tentative de créer un nouveau parti de gauche (qui ne tint que quelques années avant de disparaître), étaient restés proches (notre père tint même une librairie diffusant les publications soviétiques, chinoises, tchèques en français pendant qu’un vieux Russe diffusait au sous-sol de la même librairie les publications en russe).

Parce que c’était cela aussi, le mouvement communiste, et que c’est peut-être cela qui en restera dans la courte colonne de son actif: une solidarité internationale, quelque chose qui, au niveau des militants de base, des sympathisants, tenait d’un sentiment non calculé de fraternité… Violeta Parra avait été, brièvement, membre du PC chilien – et elle en était restée proche. Et ce n’étaient certainement pas des cercles culturels de droite qui, lorsqu’elle vint en Europe, organisaient pour elle des expositions et des concerts… Les 9, 11 et 17 mars, au Théâtre de la Cour Saint-Pierre, l’«Ensemble Violeta Parra» donnait un récital de «chants et danses du Chili et des Andes». L’Ensemble? La famille, la tribu: Violeta, Isabel, Angel, Carmen-Luisa, Tita…

Nous ignorions tout de Violeta Parra lorsque sa fille Carmen-Luisa et sa petite fille Tita nous arrivèrent. Et nous ignorions tout du Chili. Ce n’était pas seulement dû à une ignorance propre à notre âge, ni à l’éloignement du Chili, c’était que le Chili n’était dans l’agenda, dans les préoccupations, dans les urgences de personne, ici, dans les années soixante; il ne le deviendra que par la tragédie de la décennie suivante [référence au coup d’Etat de 1973]. On a regardé une carte, on a vu un interminable ruban courant le long de l’Amérique du sud, entre l’océan et les Andes. Et on nous a dit que le président du Chili (Eduardo Frei, à l’époque) était un peu suisse. Cela ne nous disait pas grand chose du Chili – les chants de Violeta nous dirent le reste, tout le reste. Ce qu’il fallait en savoir. Son histoire, sa terre, les luttes de son peuple, les rêves de ses femmes et de ses hommes. Et ce que les chants de Violeta ne disaient pas, ou qu’on ne comprenait pas, ses dessins, ses peintures, ses tissages, ses sculptures, ses jouets le montraient.

Surtout, on a appris qui était Violeta. Et que le 15 rue Voltaire pouvait bien, et pas seulement pour les conditions de vie qui y régnaient, porter le surnom de «Cour des Miracles». Parce qu’elle était l’un de ces miracles, la Violeta. Elle écrivait, chantait, dessinait, brodait, sculptait, tissait, fabriquait des jouets. La poétesse, la musicienne, l’amoureuse, la militante, c’était tout une.

Que nous en reste-t-il, un demi-siècle plus tard? Quelques objets (des disques, une marionnette, l’affiche d’un concert de Violeta, son fils, ses filles et sa petite-fille, organisé par notre père…), quelques souvenirs, des mélodies, des mots… ceux de Violeta, ceux sur Violeta. Ceux, par exemple, de Luis Sepúlveda: «Pour moi et, je crois, pour beaucoup d’hommes et de femmes de ma génération, Violeta Parra, ‘la Violeta’ comme on l’appelle au Chili, est un ange laïc, une icône de rébellion, de non-conformisme et d’amour pour son peuple.»

«… y el canto de ustedes que es el mismo canto, y el canto de todos que es mi proprio canto».

Opinions Chroniques Pascal Holenweg

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lundi 8 janvier 2018

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