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Un Nobel à pisser de rire… mais qui fait peur!

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Richard Thaler est un de ces psychologues recrutés par le monde de la finance pour expliquer aux économistes pourquoi les comportements des «agents économiques» (les mortels dans notre genre) ne sont pas rationnels, comment prévoir leurs choix et les influencer pour le plus grand profit de l’«économie» (comprendre les super riches et super puissants). Après avoir travaillé avec l’ignoble école des économistes néolibéraux de Chicago, il est monté en grade et a conseillé – peu importe la tendance – les présidents étasuniens successifs sur des sujets tels que la crise immobilière des subprimes ou la relance de l’économie (faire en sorte que les pauvres consomment plus de n’importe quoi pour accroître les profits). Un de ses coups de maître serait d’avoir réduit de 80% le coût du nettoyage des chiottes masculines de l’aéroport d’Amsterdam. Les grands buveurs de bière avaient tendance à mal viser et laissaient les lieux dans un état déplorable. Il a eu l’idée simple de placer de fausses mouches imprimées au centre du gobelet, ce qui les aurait incités à viser juste et aurait produit, à peu de frais, un assainissement relatif des lieux!

Bref, Thaler cherche comment inciter les gens à faire ce qu’ils n’ont pas envie de faire, mais qui est de l’intérêt de ses commanditaires. Comme les gens de la publicité ou du marketing cherchent à vous faire acheter ce dont vous n’aviez ni envie ni besoin, pour enfler encore les scandaleuses fortunes des marchands et des actionnaires. Ce n’est pas rédhibitoire quand les commanditaires travaillent humainement dans des domaines d’intérêt général, comme l’hygiène des toilettes. Mais c’est rarement le cas.

La méthode Thaler diffère des conditionnements brutaux (pavlovien – qui associe une stimulation neutre à une stimulation agréable – ou skinnerien – par récompense ou punition –) utilisés en propagande et marketing. Elle utilise des nudges, c’est à dire des «coups de pouce» qui manipulent les choix des sujets en leur laissant l’impression de libre choix. Un nudge classique consiste, par exemple, pour augmenter le nombre insuffisant de donneurs d’organes, à présumer que tout citoyen décédé est un donneur potentiel s’il n’a pas déclaré par écrit son refus de l’être; ceci plutôt que de ne prendre comme donneur que les individus ayant donné l’autorisation explicite de prélèvement de leurs organes de leur vivant. Dans les deux cas, il y a «libre choix», mais comme il est aussi difficile de déclarer un refus qu’un consentement, la décision par défaut est bien plus productive.

Des nudges peuvent donc être employés pour de bonnes causes, mais bien sûr aussi pour les pires, si les règles du jeu sont aberrantes. Dans tous les cas, ils consistent à détourner le libre choix théorique de l’agent de toute rationalité, tout en lui laissant l’illusion d’avoir choisi. D’une certaine façon, la dérive des démocraties bourgeoises vers le totalitarisme de l’argent et de ses maîtres en est le meilleur exemple: qui récolte le plus d’argent, recrute les meilleurs propagandistes et achète le plus les médias gagne les «libres choix» des électeurs! En particulier dans les systèmes présidentiels où tout se joue sur le look, la gestuelle et l’habileté verbale des candidat-e-s, leur programme éventuel étant la mauvaise surprise, après l’élection. Les Américains avec Trump et les Français avec Macron en savent quelque chose…

Bien sûr, Thaler n’est pour rien dans tout ça, qui fût théorisé par Goebbels, Staline et les maîtres du marketing. Mais son Nobel a le mérite d’attirer l’attention sur l’utilisation permanente de la manipulation de notre comportement pour canaliser nos décisions loin de toute rationalité et pour servir des intérêts contraires aux nôtres. A l’heure où le moindre clic sur internet enrichit notre profil dans les bases de données personnelles clandestines ou illégales des multinationales et du grand business, il est déjà trop tard pour échapper aux terrorismes politiques et commerciaux des big brothers

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lundi 8 janvier 2018

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