Chroniques

En attente de réponse

Mauvais genre

Rien de plus énervant que de ne pas recevoir de réponse – une boîte aux lettres vide; un SMS qui ne vient pas; ou des lèvres qui se refusent à articuler ne fût-ce qu’un grognement en guise d’accusé de réception. Mais quand c’est toute la personne qui a cessé de communiquer, il y a de quoi enrager. Et c’est le cas dans cet état naguère qualifié de «végétatif» et désormais désigné comme «syndrome d’éveil non répondant». Aussi, quand une équipe de recherche médicale parvient à susciter des réactions chez un patient plongé depuis quinze ans dans un tel état, on est en droit, en devoir même, d’applaudir.

L’heureuse nouvelle a été donnée par des chercheurs lyonnais dans un article de la revue Current Biology, le 25 septembre, avec description circonstanciée de l’intervention à laquelle ils ont procédé sur ce jeune accidenté de trente-cinq ans. Il s’agissait essentiellement de stimuler le nerf vague (ainsi nommé «à cause de ses ramifications dispersées», nous apprend Le Petit Robert) en implantant une électrode dans le cou, près de la carotide gauche, ainsi qu’un générateur d’impulsions électriques sous la clavicule. A partir de janvier 2016, jour et nuit, des «stimulations» ont été appliquées au nerf par cycles de trente secondes, suivis de cinq minutes de pause. D’abord sans effet. Mais on n’arrête pas ainsi une expérience quand elle est prometteuse. L’intensité des impulsions a alors été augmentée; et le patient s’est enfin mis à réagir. De trois façons, à ce qu’on nous rapporte: «lorsque nous lui demandions de tourner la tête vers la droite, il le faisait très lentement»; à un geste menaçant d’un examinateur, il écarquillait les yeux; enfin, «nous avons vu une larme couler sur sa joue» tandis qu’on lui faisait écouter une musique qu’il aimait.

En bref, on avait réalisé la prouesse de le faire obéir; de lui faire peur; de le faire pleurer. Du «végétatif» légumier, on était donc parvenu à l’élever à nouveau à la condition humaine ordinaire. Ce qui vaut bien des mois de chocs électriques. Et les avis sont unanimes, tant du côté des chercheurs que de la famille: l’état du jeune homme s’était manifestement amélioré.

Pour les scientifiques, il était passé de «l’éveil non répondant» à «l’état de conscience minimale». Ce qui prouverait, de l’avis du professeur Niels Birbaumer, du Wyss Center de Genève, qu’il y a toujours de l’espoir; et alors que des cas comme celui de Vincent Lambert ne cessent de faire débat, les adversaires de l’euthanasie passive s’enthousiasment des résultats obtenus à Lyon. L’une des auteurs de cette étude adopte pourtant une position moins tranchée: pour Angela Sirigu, s’il y a bien «amélioration», celle-ci n’est pas encore satisfaisante; et l’idéal serait d’obtenir que le patient, conscient de l’état où il se trouve, puisse prendre une décision et la communiquer: est-ce qu’il souhaite continuer ainsi, en sachant qu’il est peu probable qu’il puisse quitter un jour sa situation de grabataire, ou préfère-t-il qu’on arrête tout?

Le 3 octobre dernier, c’est la position de la mère qu’on a pu connaître, dans les confidences qu’elle a faites au journal Le Monde. Elle a clairement vu, dit-elle, les «bénéfices pour [son] fils»; durant tout le temps qu’a duré l’expérience, «il était beaucoup plus présent […]; cela a été une très belle période». Pour elle sans doute; car c’est elle qui tenait à ce que le lien avec son fils ne soit pas rompu. Et on peut la comprendre: il arrive qu’on ne se sente exister qu’en ayant le sentiment d’exister pour un autre. Mais ce n’est pas nécessairement aimer cet autre; c’est vouloir qu’il nous prête attention, alors même que dans la situation où il se trouve, il pourrait souhaiter lui-même ne plus avoir conscience de rien; ne plus être ce sujet d’expérimentation lardé de fils et de tuyaux, qu’on excite nerveusement pour l’obliger à réagir; ne plus être, simplement.

L’étude a donc paru le 25 septembre. Ce qui a juste laissé le temps aux grands titres dans la presse. On a beaucoup moins fait écho à l’information donnée deux jours plus tard par Le Parisien, et que l’équipe lyonnaise comme la famille avaient pris soin de taire: Guillaume T. est mort en juin dernier (et le paradoxe est que c’est par sa mort qu’il a retrouvé un nom, un semblant d’identité dans les textes imprimés). Selon les chercheurs, aucun rapport entre l’expérience et son décès, lequel serait dû à une «complication pulmonaire». Il avait pourtant fallu renoncer aux stimulations du nerf vague en mars de cette année: elles avaient entraîné de sérieuses apnées du sommeil. Mais si l’état physique s’était vu altéré par l’expérience, ne peut-on imaginer que l’état moral lui aussi ait été affecté, au point que cette conscience sans cesse titillée en vienne à trouver la force de dire non par le seul moyen qui lui était laissé – le départ définitif?

Il n’est plus là pour répondre. Mais déjà d’autres équipes de recherche songent à prendre le relais de l’expérience; ce qui laisse augurer de «très belles périodes» pour ces non-répondants auxquels on saura bien arracher un signe.

Opinions Chroniques Guy Poitry

Chronique liée

Mauvais genre

lundi 8 janvier 2018

Connexion