Cinéma

Au temps béni de Gauguin

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«Elle a 13 ans, et ça, vous ne le dites pas.» «13 ans à l’époque, c’est peut-être pas 13 ans aujourd’hui. Aujourd’hui, on a la morale…» Cet échange a été filmé entre la journaliste Léa Salamé et l’acteur Vincent Cassel, qui interprète le peintre dans le film Gauguin – Voyage de Tahiti, d’Edouard Deluc. Le dialogue s’inscrit dans la polémique autour du film en salles en ce moment, qui omet soigneusement certains aspects de la vie du peintre. Sa syphilis devient diabète et ses «petites épouses» ne font pas leur jeune âge. Comme Tehura, 13 ans en 1891 lorsque le Français la prend pour épouse, interprétée par Tuheï Adams, 17 ans. Des omissions intentionnelles que dénonçait Jeune Afrique au lendemain de la sortie du film.

Car ce que ne dit pas Vincent Cassel, c’est qu’il s’agit moins d’un problème d’époque que de colonisation: l'union entre Gauguin et sa jeune épouse tahitienne aurait été condamnée en France métropolitaine au XIXe siècle.

L’histoire de ce peintre est avant tout celle d’un Français débarquant dans une zone reculée du monde, en pleine expansion des colonies. Il se considère comme un «sauvage» à la recherche d’un monde «primitif», «originel», d’un «exotisme» censé le sauver de la monotonie continentale. Des qualificatifs utilisés par le réalisateur et certains critiques, semblant ne pas avoir conscience du poids de ces mots.

L’idée n’est pas de faire le procès de Gauguin. Et qu’un film ne colle pas en tous points à la réalité n’est pas une surprise. Mais quel gâchis dans cette réinterprétation de l’histoire, alignant les clichés de sociétés pures et primitives, dans lesquels l’homme blanc aspire à retrouver son innocence en s’entourant de très jeunes filles. «Va-t-on seulement faire des films sur des gens biens?» demandait Vincent Cassel dans Tahiti info. Au contraire, on attendrait que des personnages comme Gauguin soient relatés avec leurs failles, sans édulcorant. Si on n’enlèvera jamais son génie à ce peintre, il est probable que le cinéma continuera à arracher certaines pages de l’histoire lorsque cela arrange nos imaginaires collectifs.

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