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«La société devrait s’efforcer d’inclure les plus faibles»

Dominic Moser* est jardinier et architecte paysagiste. Au cours de sa trajectoire de vie, il a pu expérimenter certaines facettes de la psychiatrie genevoise en tant que practicien écosophe et observateur. Selon lui, les personnes stigmatisées pour des raisons psychiques ont un rôle à jouer au sein de la société, pour peu qu’elles ne soient pas maintenues à l’écart de la communauté par des «institutions de l’exclusion sociale» aujourd’hui dépassées.
«La société devrait s’efforcer d’inclure les plus faibles»
Le "Jardin écosophique" du Dracar D. MOSER
Intégration

En cas de discrimination, les plus faibles ont le droit de faire valoir leur citoyenneté. Les personnes souffrant ou ayant souffert d’une maladie psychique disposent des mêmes droits que celles en bonne santé mentale – excepté en cas de mise sous tutelle. Leur citoyenneté leur permet de privilégier de manière libre et autonome des systèmes existants dans la société afin d’y exercer leur rôle. Une personne exerçant dans le monde professionnel et bénéficiant d’une bonne santé mentale est punissable pénalement si elle en discrimine une autre ou si elle la stigmatise volontairement en raison d’un diagnostic psychiatrique. De plus, abuser illégalement de la faiblesse ou de la crédulité d’une personne en situation de faiblesse psychique relève également du droit pénal, donc du droit de la personne.

Il est cependant affligeant de constater la dépendance qu’entretiennent les accompagnants du monde professionnel ou médical (médecins psychiatres, maîtres socioprofessionnels, assistants sociaux…) envers les personnes ayant souffert d’une fragilité psychique, y compris de courte durée. Notamment au sein des systèmes médicaux, d’insertion ou de réinsertion. La société est en mesure de s’engager à privilégier l’intégration de personnes traversant des difficultés psychiques en s’efforçant de préserver leur intégrité dans des entreprises ou institutions professionnelles normales et non pas spécialisées. Ceci même si ces personnes ont bénéficié d’une incapacité de travail temporaire ou prolongée.

Par ailleurs, le but des aides financières – qu’elles soient accordées pour des raisons psychiques ou non – est de permettre aux citoyens qui ont eu la malchance d’en bénéficier de trouver une nouvelle place dans la société qui leur offre une possibilité de se réaliser, et non d’être stigmatisés par leurs proches ou par des institutions médicales et sociales. C’est pourquoi les professionnels concernés doivent impérativement privilégier l’intégration des malades psychiques au sein de la communauté, et non pas les désorienter mentalement en les dirigeant dans des structures hospitalières ou de réinsertion.

Plus globalement, toute société devrait s’efforcer d’intégrer les plus faibles au sein de leur communauté, qu’ils vivent avec ou sans passeport, sans avoir à les rediriger vers des spécialistes ou des institutions de l’exclusion sociale, comme le font généralement les assistants sociaux, hôpitaux ambulatoires ou médecins psychiatres. L’intégrité des personnes ayant souffert

d’une maladie est indispensable pour qu’elles puissent retrouver une dignité personnelle et autonome. Trop de personnes finissent par s’isoler des relations humaines, voire se suicident, par manque d’intégration sociale.

Par ailleurs, la société est en droit d’attendre que les personnalités psychiquement plus sensibles puissent un jour exprimer leur plein potentiel, même si la personne concernée est au bénéfice d’une rente AI. Il est déplorable de constater que les structures d’insertion et les médecins créent un lien de dépendance financière et affective envers des personnes qui sont généralement discriminées par leurs concitoyens. Cette stigmatisation est mesurable et quantifiable, que ce soit à l’hôpital, dans la rue, en famille, en classe ou au travail.

Etiqueter les personnes malades par un diagnostic psychiatrique, les enfermer dans des hôpitaux ou prescrire un médicament à vie en raison d’une sensibilité mentale relèvera d’ici quelques années de la psychiatrie du passé. Dans cette ère technocratique, nous amenons le monde de la santé mentale à prendre conscience de sa propre légitimité en tenant davantage compte des droits humains et en encourageant la capacité de discernement des usagers. Afin d’ouvrir les boites préfabriquées dans lesquelles les malades psychiques sont casés chaque jour par la médecine contemporaine.

Le domaine de la santé mentale, malgré son état embryonnaire actuel, se trouve au même plan que les sciences de l’endocrinologie, la criminologie, l’anthropologie, la psychiatrie, la neurologie ou la sociologie. Les problèmes de santé mentale ne peuvent plus être étudiés uniquement sous l’angle de médicaments ou de diagnostics de maladies invraisemblables ou incompréhensibles. Ils doivent être pris en considération pour ce qu’ils sont: des «états de choc» de la société hypermoderne qui peuvent être réparés voire résorbés intégralement. C’est cette mission que doit faire sienne la santé mentale: devenir une science de la compréhension du mental humain.

* Animateur-jardinier, intervenant externe au centre d’hébergement psychosocial «Le Dracar» à Genève.

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