Édito

Le «Jobber», un salarié sans droit ni loi

Economie numérique

Aux confins du salariat et du travail indépendant, le «jobbing», ou économie des petits boulots, est en plein essor. Venu des Etats-Unis, le phénomène consiste à mettre en relation des particuliers, via des plateformes internet, en vue de réaliser un travail à la tâche en échange d’une rémunération fluctuante. Pierre a acheté une commode, Jacques propose de la monter: en un clic de souris, le marché est conclu.

Côté pile, le «jobbing» permet d’arrondir ses fins de mois, de choisir quand, où et pour quel tarif travailler. Pour le client, c’est l’assurance d’un travail rapidement effectué et à des prix défiant toute concurrence.

Côté face, sous couvert de modernité et de nouvelles technologies, une petite part de la population se voit transposée au XIXe siècle, avant le salariat et l’Etat social, lorsque hommes et femmes ne bénéficiaient d’aucune garantie de l’emploi ni de revenu, contraints de vendre leur force de travail au jour le jour. Et tant pis s’il y a un accident, une maladie, une grossesse, une baisse de l’activité, une tête qui ne revient pas…

Une situation d’autant plus injuste et absurde que jamais notre société n’a produit autant de richesses. Mais la mondialisation et la numérisation de l’économie sont passées par là, induisant l’émergence d’un salariat fractionné, précarisé, pressurisé, et d’un temps de travail extensible: progression du temps partiel, travail chez soi, le dimanche, le soir, cumul des emplois, etc. Et ce n’est qu’un premier pas, l’avènement de l’intelligence artificielle chamboulera irrémédiablement notre rapport au travail.

La méthode Uber, ou Airbnb, s’applique désormais aux mille et une tâches du quotidien, et plus largement à des pans croissants de l’économie. Avec pour conséquence de voir le risque et le coût de l’échec se déplacer de l’entreprise vers l’individu, incité à endosser l’entière responsabilité de la réussite, ou non, de son «entreprise».

Travail au noir, assurances sociales, chômage, retraite, formation, conventions collectives, accidents de travail: toutes ces thématiques doivent être interrogées à l’aune de ce changement de paradigme. Et imposent une réponse politique, qui pour l’heure fait défaut. Car une chose est certaine: sans sécurité, la flexibilité ne sera que régression.

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