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Contre les post-vérités: la bibliothèque publique!

La Bibliothèque publique de New York, à laquelle le cinéaste Frederick Wiseman a consacré un documentaire – Ex Libris, en compétition officielle à la Mostra de Venise 2017 –, est une institution culturelle d’exception. Retour sur ce lieu hors du commun où la culture est offerte à tous.
Culture

Après les illusions portées par Obama, Trump n’a eu de cesse, par sa démarche aussi délétère qu’obstinée, de nous conforter dans l’idée que les Etats-Unis étaient sans espoir. Or voici que Frederick Wiseman, signant l’étonnant film Ex Libris1 value="1">Ex Libris – The New York Public Library, film en compétition officielle à la Mostra de Venise 2017., lave ce regard désabusé par une enquête roborative sur les missions, méthodes et résultats d’une institution hors du commun: la Bibliothèque publique de New York (NYPL)2 value="1">La NYPL est constituée d’un réseau de 92 antennes couvrant la métropole new-yorkaise, avec 18 millions d’utilisateurs et 32 millions de visiteurs en ligne par an..

Un tel projet documentaire pourrait apparaître vain et fastidieux. En effet, comment s’intéresser pendant plus de trois longues heures à un sujet aussi aride? A fortiori, si l’on sait que le réalisateur ne sacrifie à aucune facilité, sans jamais flatter la bonne conscience du spectateur? Au contraire, par de longues séquences prises sur le vif, il propose une représentation complexe de l’institution NYPL, de son fonctionnement déconcentré, de son développement, de sa remise en question permanente, enfin de son rôle à l’échelle de la métropole new-yorkaise. Il soumet ainsi au spectateur un modèle sans équivalent qui prête à rêver d’une possible extension au-delà de son territoire d’expérimentation historique et géographique.

Loin de l’idée éculée d’une bibliothèque confinée à un lieu de stockage et de diffusion de livres, Wiseman nous invite à mesurer l’explosion actuelle des limites de ce temple du savoir. «J’ai été surpris de découvrir l’immense variété de services, d’opportunités et d’expériences que les bibliothèques apportent à celui qui franchit leur porte. Les bibliothèques d’aujourd’hui sont devenues des centres communautaires offrant aussi bien programmes post-école aux enfants que cours pour adultes en langues, citoyenneté, administration et programmation informatique. Sans considération de l’actuel contexte politique américain, la bibliothèque reste un idéal d’inclusion, de démocratie et de liberté d’expression.»

Au fil de réunions et présentations de l’équipe dirigeante de la NYPL, il met en évidence l’engagement, l’énergie et la vision qu’elle déploie, s’efforçant, malgré les contraintes budgétaires et les partenariats, de repousser les limites du possible et du meilleur en faveur des bénéficiaires du système-bibliothèque. Cela avec une attention particulière au défi de la fracture numérique, mais aussi pour les problématiques de l’emploi, les succursales de la NYPL jouant un rôle de pivot complémentaire entre demandeurs et offreurs d’emplois. Des extraits de conférences-débats qui y sont organisées autour d’intervenants divers – scientifiques, historiens, philosophes, poètes, artistes tels Patti Smith ou Elvis Costello – illustrent l’importance dédiée à la formation de l’esprit critique qu’elle ne cesse de promouvoir.

De fait, en un temps où le créationnisme, le communautarisme, le nationalisme, le climato-scepticisme, les post-vérités, la violence sociale et religieuse, le rejet de l’Autre sous toutes ses figures étendent leurs ravages, et où l’Ecole apparaît aussi à bout de souffle devant le Mur de ses missions, il semble bien opportun de découvrir ces autres institutions qui font bouger les lignes sur leurs propres terrains, les enjeux majeurs devenant chaque jour plus clairs. Comment créer de l’inclusion sociale, culturelle et économique – du lien – au lieu d’en détruire sans fin? Comment renforcer l’appropriation des compétences et savoirs nouveaux, devenus nécessaires? Comment stimuler sans répit l’intelligence critique des citoyens face aux problèmes de tout ordre qui les submergent au quotidien, afin qu’ils sortent du cycle résignation-violence-désespoir?

Par les éléments de réponse sans dogmatisme qu’il apporte à de tels défis, The New York Public Library est un film exemplaire. Formulons le souhait qu’au-delà des salles et télévisions, ce film soit largement diffusé et discuté dans les lycées, universités, maisons des jeunes et de la culture, associations œuvrant dans le champ social et éducatif. Car nous avons besoin de partager une telle expérience citoyenne et d’en débattre ensemble.

Notes[+]

* Philosophe et consultant, anime le réseau du GERM. Dernier ouvrage paru: Pour en finir avec «la civilisation», éd. Yves Michel, 2016.

Opinions Agora François de Bernard Culture

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