Chroniques

C’était mieux avant

A rebrousse-poil

Ecrire ces mots, ou les prononcer en public, vous classe irrémédiablement, aux yeux de la plupart, dans la catégorie des vieux grincheux rétrogrades. Clairement et sans appel.

Rétorquer haut et fort qu’aujourd’hui est bien meilleur qu’hier vous fera regarder par d’autres comme un débile léger d’une naïveté touchante, du genre à gober tout cru la propagande distillée par les adulateurs de la course vers l’avenir.

Qu’une discussion éclate à ce sujet, vous constaterez le plus souvent que les avis sont tranchés. C’est tout noir ou tout blanc, vous ne pouvez être que O’Timmins ou O’Hara1 value="1">Voir, dans les aventures de Lucky Luke, Les Rivaux de Painful Gulch. Un peu de culture, que diable!.

C’est un peu court.

Le bon sens, évidemment, commande de nuancer. Dans de multiples domaines (médecine, télécommunications, transports par exemple), les progrès ont été remarquables depuis quelques années. Dans d’autres (répartition des richesses, diversité culturelle, sécurité de l’emploi, etc.), le bilan est plutôt négatif. Quant à pencher vers l’une ou l’autre opinion, cela dépendra de l’orientation politique, du degré d’information, du poids que l’on accorde à tel ou tel fait.

Deux remarques.

D’abord, les partisans du «c’était mieux avant» peuvent parfois confondre le particulier avec le général. Pas tous! Mais «l’avant» dont ils sont nostalgiques, c’est pour beaucoup le temps de leur jeunesse, et ce qu’ils rêveraient de retrouver c’est la vigueur d’alors, la joie de vivre, l’espoir. Rien à voir pour ceux-là avec l’état global du monde hier ou avant-hier! Cette tendance traverse les siècles. Déjà le vieux chasseur-cueilleur exaltait le passé, tandis que grillait sur le feu une oreille de mammouth. En vérité, comme chaque année a été pareille à la précédente pendant des millénaires, ce que cet ancêtre regrettait c’était simplement le flair et la dentition de ses vingt ans.

Ensuite… je me demande si certains disciples du «c’est bien mieux maintenant» ne sont pas influencés par la fusion de deux concepts dans un seul mot. Je m’explique!

Mes premières années traversent les Trente Glorieuses, une période où il y avait du travail pour chacun et même plus, où le progrès était partout visible. Tout ce qui était «nouveau» était presque à coup sûr «meilleur». Les nouvelles voitures étaient plus rapides et moins gourmandes que les anciennes, les postes à transistor supplantaient largement les vieilles radios à lampes, les bas nylon étaient plus affriolants que les chaussettes de laine.

Le flirt de «nouveau» avec «meilleur» ne date pas d’hier. Mais c’est à la fin de ces années-là, me semble-t-il, que le mariage a été consommé. Alors un mot a phagocyté l’autre: «nouveau» a mangé «meilleur», il l’a digéré, et qui dit le premier sous-entend depuis, presque automatiquement, le second.

Cet amalgame a été largement diffusé, entretenu, exploité par les publicitaires et les marchands: nouveaux tissus, nouvelle sorte de chocolat, nouveaux équipements électroménagers, tout était meilleur! Il faut dire qu’il serait complètement suicidaire, l’agent commercial qui claironnerait que son nouveau produit est moins bon que l’ancien!

Donc, disant l’un maintenant, on a en arrière-plan, pas loin, l’ombre de l’autre. Plus besoin de le préciser, mais plus moyen non plus de séparer les deux concepts. Désormais, «nouveau» c’est «meilleur», point. Circulez, a y rien à voir!

Bon… j’exagère!… Tout le monde n’est pas dupe, nombreux sont ceux qui savent prendre du recul et gardent leur esprit critique. Non, «nouveau» n’est pas forcément «meilleur»!

Pour revenir au début de cette chronique, mon choix est fait. Après mûre réflexion, après avoir soigneusement soupesé le pour et le contre, ma position est arrêtée, définitive, et rien ne m’en fera démordre. A question claire, réponse nette. Donc quand on me demandera: «A ton avis, est-ce que c’était mieux avant?», en bon Vaudois je répondrai sans hésiter:

– Ça dépend: p’têt ben qu’oui, p’têt ben qu’non…

Notes[+]

Opinions Chroniques Michel Bühler

Chronique liée

A rebrousse-poil

lundi 8 janvier 2018

Connexion