Chroniques

Etre fort ou être une princesse?

Polyphonie autour de l'égalité

Acheter un cadeau pour le bébé d’une connaissance: voilà quelque chose de simple à première vue. On se dit qu’on va pouvoir jouer avec la palette des couleurs, vu qu’on est à un âge où on peut tout oser. Que nenni! Cette expérience va nous emmener de déception en déception. A peine franchie la porte du magasin, une boutique spécialisée en vêtements d’enfants, on cherche désespérément le rayon bébés. Une vendeuse vient à notre secours. La différence est saillante sur les murs où des écriteaux ne laissent aucun doute: à gauche, garçons 0-2 ans; à droite, filles 0-2 ans. Puis, la gamme des couleurs vient rappeler la distinction: foncée pour les garçons, claire pour les filles, avec une nette prédominance pour le rose et ses dégradés.

Déjà affligées par ces distinctions, l’examen détaillé des pulls finit de nous désespérer. Quelques reproductions d’animaux ou d’objets sont relativement neutres, voire épicènes, mais les inscriptions sont redoutables tant elles induisent les comportements attendus des bébés: «je suis fort» fait face à «je suis une princesse». Inutile de préciser à qui se destine chacun des messages. On tente de faire bonne figure et on indique à la vendeuse que l’on cherche un pantalon de couleur et un pull sans écriture. Une demande qui nous oblige à fouiller longuement dans les rayons. On ne pensait pas être aussi limitées en 2017.

Identifier dès le premier instant, et pour des bébés, s’il s’agit d’un garçon ou d’une fille met en évidence la force de la peur de l’indétermination. Il suffit de voir le désarroi de certaines personnes lorsque l’habillement d’un nourrisson ne permet pas de savoir au premier coup d’œil s’il s’agit d’une fille ou d’un garçon. A cette peur s’ajoute, nous ne sommes pas dupes, les intérêts de l’industrie vestimentaire, qui a trouvé le filon en mettant sur le marché une gamme différenciée selon le sexe.

Plus de quarante ans après la parution de l’ouvrage d’Elena Gianini Belotti, Du côté des petites filles, l’éducation des enfants semble connaître un véritable backlash. Cet ouvrage, qui connut un grand succès, dénonçait l’oppression dont les petites filles étaient l’objet et identifiait déjà, en amont de l’éducation, les marqueurs de la bi-catégorisation: des couleurs de la chambre aux mobiles au-dessus des berceaux, en passant par les vêtements pour bébé. L’auteure essayait par ailleurs de proposer un avenir différent pour les femmes et les hommes. Elle postulait la nature sociale de la différence des sexes… un principe que les études genre n’ont fait que déployer au gré des recherches scientifiques de ces quarante dernières années.

Ainsi, assiste-t-on à un retour pour les enfants de vêtements largement différenciés: l’accent est mis sur l’esthétique du côté des (petites) filles, qu’on encourage à être élégantes, à plaire, et en passant à faire preuve de peu d’autonomie. Du côté des garçons, les vêtements facilitent l’indépendance et l’agilité. Ils sont confortables et permettent les mouvements, alors que ceux des filles les entravent: jupes et robes ne facilitent en effet guère l’apprentissage du saut et de l’escalade. Pendant que les couleurs sombres, le kaki envahissent les armoires des garçons, le rose et les dentelles sont revenus en force chez les filles, les enjoignant à redevenir les «petites filles modèles» chères à la Comtesse de Ségur.

Le sexisme, en tant qu’attitude qui renvoie les femmes à l’existence d’un naturel féminin qui justifierait un traitement différencié de ces dernières, a encore de beaux jours devant lui. En particulier le sexisme bienveillant qui encourage l’inégalité en confortant les femmes dans l’idée qu’elles ont reçu de la nature le don d’être belles, désirables, aimantes, maternelles, par opposition aux hommes qui ont été dotés de la capacité de réflexion, de la force et de la puissance.

A quand des t-shirts qui arborent «je suis forte» et «je suis un rêveur»?

 

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