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Digressions autour d’une pisseuse effrontée

ENTRE SOI.E.S

Le nombre élevé de mecs plantés face aux murs et les odeurs qui émanent du béton après leur passage pourraient nous faire croire le contraire, pourtant Genève est bien la championne suisse de la répression du pipi à l’air libre. Si cette activité reste encore largement l’apanage des hommes, quelques femmes s’y adonnent également, se faisant parfois attraper par la police. C’est ce qui est arrivé à Zoé Bon lors d’une soirée de septembre 2016 au bord du Rhône. Un apéro qui lui a valu quelques heures au poste et une amende totale de 1050 francs pour «salissure sur la voie publique, perturbation ou scandale sur la voie publique et refus de circuler sur ordre de police»1 value="1">«Une jeune femme menottée pour avoir fait pipi dehors», Tribune de Genève, 01.06.2017.. Sans insister sur la disproportion des moyens d’intervention déployés par la police genevoise, cette mésaventure nous permet de revenir sur des éléments clé des obstacles rencontrés par les femmes dans l’espace public.

Si Zoé ne s’est pas rendue dans les toilettes les plus proches, c’est par crainte de marcher seule dans un endroit peu illuminé et fréquenté principalement par des hommes seuls. La Ville est un espace fait par et pour les hommes, et le domaine public est le lieu du sentiment d’insécurité. Etre dehors, pour les personnes issues de catégories discriminées, c’est se confronter au regard que la société leur porte, les faisant par là-même devenir les cibles potentielles des violences issues de ces oppressions. C’est là, par exemple, tout le mécanisme du harcèlement de rue: la peur concrète de subir des agressions sexuelles, couplée au rappel, plus symbolique, que les femmes n’ont pas la même légitimité à exister dans le dehors2 value="2">Cf. notre chronique «Le harcèlement de rue: l’aménager ou l’éradiquer?» du 25.01.2017..

Pour parer au sentiment d’insécurité dans la rue, une réponse phare de nos autorités consiste à intensifier la présence policière. Une solution paradoxale… Tout d’abord, victimiser les femmes renforce l’idée qu’elles ont intrinsèquement besoin de protection. Leur sentiment de vulnérabilité n’en est qu’alimenté, influençant la façon dont elles occupent l’espace public. Ensuite, augmenter la présence policière comme réponse à l’insécurité ressentie par les femmes fait abstraction du fait que les agents de police ont eux-mêmes une grande peine à se défaire d’analyses reposant sur des préjugés racistes, classistes ou sexistes lors de l’exercice de leur travail. Ainsi, lorsque Zoé Bon a osé questionner l’action de la police au bord du Rhône, c’est à une agence de répression morale – à la police du genre – qu’elle a fait face: une jeune femme ne devrait pas se comporter de la sorte. Interventions bien plus musclées que nécessaire, embarquement au poste menottée, propos sexistes, moralisateurs et injurieux, amende disproportionnée, Zoé a été punie pour n’avoir pas été mignonne et pour avoir remis en question l’autorité. Grave entorse aux mœurs d’une institution policière où la virilité reste un principe fondateur et où le recours à la domination masculine est une technique commune de soumission, justifiant parfois la disproportion des moyens utilisés pour pénaliser un comportement proscrit.

Délit de faciès, pauvreté coupable, stigmate de la putain, force est de constater que la police n’est pas uniquement là pour rappeler qui sont les bons et les méchants, comme elle pense souvent le faire, mais plutôt qui sont les acceptables et les indésirables. Les comportements sexistes des policiers lors de l’arrestation de Zoé ne sont peut-être pas caractéristiques de l’ensemble du corps policier. Ils restent néanmoins typiques d’une certaine culture policière dont les modes d’action mènent souvent à des drames, parfois passés sous silence faute de relais médiatiques ou de soutien militant. En témoignent le tumblr et la page facebook «Paye ta police» qui récoltent des récits de sexisme, de culture du viol et de culpabilisation des victimes de la part ou au sein de la police, notamment en France. On y retrouve une remise en question systématique de la parole des femmes qui portent plainte pour violences, des intimidations et une stigmatisation de comportements pourtant légaux des femmes dans l’espace public.

S’il faut encore le rappeler, ce n’est pas une présence policière dans la rue qui permet aux femmes de se sentir légitimes, mais bien la présence d’autres femmes. Alors continuons de dénoncer les tentatives d’intimidation et les violences institutionnelles, sortons entre copines, emparons-nous des bords de rivières, des bancs publics, des skates parcs et ensemble, reprenons la rue!3 value="3">Pour aller plus loin, lisez: Marylène Lieber, Genre, violences et espaces publics. La vulnérabilité des femmes en question; David Pichonnaz, Devenirs policiers; Mathieu Rigouste, La domination policière.
 

Notes[+]

Opinions Chroniques Djemila Carron et Marlène Carvalhosa Barbosa

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lundi 8 janvier 2018

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