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Vive la Commune, pétard!

L'Impoligraphe

Comme vous lisez le seul quotidien genevois survivant, vous savez que l’année prochaine, à Piogre, est une année électorale: on va élire les députés et députées au Grand Conseil, et les conseillères et conseillers d’Etat. Un grand moment, quoi. Surtout pour les ceusses qui se candidatent au parlement, et plus encore pour les ceusses qui se candidatent au gouvernement. Mais d’où sortent-ils donc, ces futurs et futures législateurs, législatrices et ministres de la Parvulissime République? Ben, souvent des conseils municipaux, voire des conseils administratifs des communes. Parce que figurez-vous, braves gens, qu’il y a des communes, à Genève. Et même une commune de Genève. Et que c’est encore un coup des Français, vu que les communes, dans ce canton, sont un héritage du «régime français» imposé par l’annexion de Genève à la Ière République – celle du Directoire: c’est ce régime qui a créé les communes (l’ancienne République genevoise n’en connaissait aucune). Lorsqu’au «régime français» a succédé le «régime suisse», la République et canton a maintenu cet héritage (sauf pour la commune de Genève, qu’elle s’est empressée de supprimer parce qu’elle lui faisait de l’ombre) et s’est bien gardée de donner aux communes des compétences qui pouvaient limiter les siennes.

En élisant les conseillers d’Etat, les citoyens des communes genevoises élisent leurs baillis. Sandrine Salerno a beau plaider pour «casser le mépris du Conseil d’Etat et du parlement» pour les communes (elle aura eu largement l’occasion de le mesurer en tant que responsable des Finances de la Ville de Genève), il faudra plus qu’une élection (même la sienne) pour y arriver: quelque chose qui tiendrait, à Genève, d’une petite révolution (il en a d’ailleurs fallu une pour rétablir la commune de Genève, supprimée par les partisans de l’Ancien Régime revenus au pouvoir en 1814 dans les fourgons de l’armée autrichienne). En attendant quoi, les conseillères et conseillers municipaux se pressent au portillon du Grand Conseil. Et il y a même des partis qui se font représenter par les mêmes personnes, cumulardes, dans des conseils municipaux et au Grand Conseil. C’est pratique, ça leur permet de défendre des positions totalement contradictoires selon qu’elles ont posé leur séant sur un siège de député-e ou un siège de conseiller-e municipal-e. Ou de roupiller alternativement sur les deux sièges. Quant à celles et ceux qui passent d’un Conseil municipal au Grand Conseil, c’est marrant, mais c’est comme une sorte d’amnésie qui les frappe, ou alors d’extinction de voix: on les entendait gueuler au Conseil municipal contre l’autoritarisme du canton et la sujétion des communes, on les entend râler au Grand Conseil contre les velléités des communes (surtout d’une, d’ailleurs: la Ville) de ne pas se laisser marcher sur les palmes par le Bailli.

Au fond, qu’attend-t-on de la Commune? On devrait en attendre la concrétisation des principes mêmes de la démocratie, on devrait en attendre ce qu’elle seule peut offrir sans appareil de contrainte et que les vieux socialistes résumaient en une formule: «passer du gouvernement des hommes à l’administration des choses». En d’autres termes: passer de l’ordre public au service public, la Commune, sans capacité normative réelle, étant (si les moyens et les compétences lui en sont donnés, ou si elle fait l’effort de se les accorder, même lorsqu’ils lui sont refusés) l’exemple même, et le seul en tant qu’institution politique, d’une collectivité définie par les services qu’elle rend à «sa» population (des bibliothèques à la voirie, du Grand Théâtre au Service d’incendie et de secours). Par définition, la commune est le service public en actes: n’étant pas fauteuse de lois, sa seule réalité politique est celle de la mise à disposition de services, de la concrétisation de droits fondamentaux, de la matérialisation des discours politiques. La commune est le service public, parce qu’elle n’est rien d’autre – sauf à se nier en tant que commune.

Alain Touraine observe que «la grande ligne de coupure traverse désormais la gauche comme la droite, puisqu’elle sépare ceux qui croient aux acteurs et ceux qui croient aux systèmes». Nous faisons le même constat (le «désormais» en moins: cette «grande ligne de coupure» est présente dès l’origine même du mouvement socialiste, opposant en son sein libertaires et autoritaires, démocrates et technocrates), et nous croyons aux acteurs et aux actrices, non aux systèmes. Parce qu’il s’agit de changer le monde réel sans prendre le pouvoir, mais en multipliant les lieux, les espaces, les réseaux, les moyens permettant à chacune et chacun, à toutes et tous, de s’autodéterminer.

Ce qui, depuis 1871, se résume en trois mots qui font slogan: Vive la Commune!

Le syndicaliste révolutionnaire allemand Karl Roches écrit en 1919, après la prise du pouvoir d’Etat par les bolchéviks: «Nous rejetons l’Etat parce qu’il ne convient pas au socialisme. Nous acceptons la Commune parce qu’elle donne aux travailleurs la possibilité de se gouverner.»

Et en élisant l’année prochaine le parlement et le gouvernement de la République, on devrait reprendre en chœur, sur le ton du vieux Père Duchesne: Vive la Commune, pétard!

Opinions Chroniques Pascal Holenweg

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lundi 8 janvier 2018

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