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Les milliers de morts de l’égoisme européen

 
Crise des migrants

La nouvelle tombe comme une condamnation à mort pour des centaines, voire des milliers de personnes qui tentent de franchir la Méditerranée. Les unes après les autres, les ONG qui avaient affrété depuis 2014 des navires pour venir en aide aux naufragés sont forcées de quitter les aires de sauvetage. En cause: la Libye a décrété jeudi dernier, en concertation avec l’Italie, la création d’une vaste zone d’exclusion maritime aux bateaux étrangers bien au-delà de ses eaux territoriales.

La Libye se chargerait dorénavant elle-même des opérations de secours au large de ses côtes, avec un soutien logistique et technique apporté par le gouvernement de Sergio Mattarella. A plus d’un titre, cette explication sonne comme une vaste supercherie.

D’abord parce qu’aucun détail sur ce nouveau «plan de sauvetage», sorti tel un lapin d’un chapeau de magicien, n’a été communiqué. On ne connaît ni le montant des frais engagés ni le nombre de navires chargés de cette tâche dans l’immédiat. Un seul bateau italien, déjà actif dans la zone, devrait prêter main forte aux Libyens, sans bénéficier de moyens supplémentaires.

La Libye, souffrant toujours d’une ingouvernabilité chronique, a fait savoir à l’Union européenne (UE) qu’elle avait besoin d’un financement de 20 milliards d’euros pour bloquer les migrants au sud du Sahara, sauver les naufragés et prendre les populations restantes en charge…

Or non seulement l’UE n’a rien promis, mais elle n’a pour l’instant pas débloqué un centime. Pour l’heure, les demandeurs d’asile en perdition sont condamnés à la noyade. Un calcul s’impose: si plus de 2300 personnes sont décédées en Méditerranée depuis le début de l’année, alors que les ONG en ont repêché plusieurs dizaines de milliers d’autres, combien périront en leur absence?

A cette lumière, la décision libyenne apparaît dans toute son horreur: il ne s’agit plus seulement de non-assistance à personnes en danger, crime dont se rend coupable l’UE depuis la fin de l’opération Mare Nostrum en 2014, mais d’entrave au sauvetage de milliers d’individus en péril de mort.

Quant à ceux que la Libye tirera des eaux malgré tout, on sait que leur sort n’est guère plus enviable. Non seulement leurs chances de pouvoir déposer une demande d’asile en bonne et due forme dans les pays européens s’amenuise (n’est-ce pas le but de l’UE dans cette affaire?), mais ce retour en Libye les expose aux mêmes affres que nombre d’entre eux ont déjà subi durant leur traversée du Sahara: pauvreté absolue, conditions sanitaires sordides, torture, viols, voire esclavage… En mai dernier, le ministre des Affaires étrangères allemand avait réprouvé la création de camps de réfugiés dans ce pays pour ces mêmes raisons. Emmanuel Macron a lui applaudi. Le silence actuel de l’UE pèse lourd. Très lourd. I

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