On nous écrit

La victoire et la honte

Jacques Pous a imaginé une «chronique de Mossoul» datée du 18 juillet 2067, à l’occasion du cinquantenaire de la victoire de la coalition dans la deuxième ville d’Irak.
Prospective

«Néanmoins il faut avouer, avec les bulletins de l’époque, que la guerre pour le triomphe de la civilisation européenne est une bien belle chose. Cette civilisation, en apparence si sûre d’elle-même, se trouve bien souvent démasquée lorsqu’elle est en contact avec des populations qui sont vis-à-vis d’elle sur un pied d’infériorité». Henry Dunant.

Voilà ce que, à Mossoul, la civilisation a fait à la barbarie et il faut avouer que, comme le proclamait déjà à la fin du XIXe siècle le grand philanthrope genevois, la guerre pour le triomphe de la civilisation est une «bien belle chose». Le silence s’était fait sur la sale guerre et les tueries, il est presque aussi assourdissant sur la victoire.

Combien de civils, combien de femmes et d’enfants écrasés sous les bombes, combien de centaines de milliers de déplacés? Quel sort est-il réservé aux jeunes hommes et parfois aux jeunes femmes, qu’ils aient été combattants ou non – tous déclarés terroristes –, qui sont remis aux forces supplétives chargées de la purification ethnique qui vise tous les habitants de Mossoul?

Il faudra des années pour qu’enfin, des larmes dans la voix, l’on nous le dise que l’on regrette. Les Occidentaux – les Américains en ont même fait un principe et une méthode – aiment bien, tous les cinquante ans, organiser de grandes cérémonies de repentance; elles renforcent la démocratie et la liberté d’expression lorsqu’elles ne représentent plus un danger pour la politique que l’on veut mener.

Les progrès de la science permettant de dominer la marche du temps, j’ai d’ailleurs reçu de Mossoul une brève particulièrement illustrative de ce qui ne va pas manquer de se passer:

«Mossoul, le 18 juillet 2067.

La première présidente noire des Etats-Unis d’Amérique, prix Nobel de la paix pour son action énergique en faveur de la relance du processus de paix dans le conflit israélo-palestinien, au point mort depuis plus de deux ans, termine aujourd’hui sa visite au Moyen-Orient qui l’a menée de Ramadi, Falloujah, Raqqa jusqu’à Mossoul, les villes martyres de la guerre menée il y a cinquante ans contre l’Etat islamique qui, comme des études historiques récentes l’ont montré, a fait des milliers de victimes civiles.

La présidente a exprimé ses regrets pour les dommages collatéraux causés par les bombardements massifs et disproportionnés de l’aviation de la coalition. Toutefois, elle a, une nouvelle fois, refusé de proférer les mots d’excuse qu’une partie de la population moyen-orientale attendait.

La cérémonie de commémoration s’est terminée par le geste particulièrement émouvant de la présidente qui a serré dans ses bras un vieux monsieur qui, lors d’une malheureuse bavure, a perdu sa femme et ses trois enfants dans le bombardement de sa maison.

La presse quasiment unanime a salué le courage de la présidente pour avoir su vaincre enfin les réticences d’une partie de ses concitoyens à reconnaître des crimes de guerre qu’aujourd’hui le monde entier réprouve.

Le voyage de la présidente se terminera demain à Amman pour réaffirmer le soutien politique et militaire que son pays continuera à apporter à l’armée jordanienne qui, avec l’appui de l’aviation de la coalition, tente d’éradiquer les groupuscules terroristes qui menacent les populations pacifiques de deux petites implantations israéliennes, qui viennent de s’installer sur la rive orientale du Jourdain.» (De notre correspondant à Mossoul)

JACQUES POUS, Genève

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