Chroniques

58 avant Jésus-Christ

En coulisse

An 58 av. J.-C. Alors que les Germains – les barbares! – menacent aux frontières gauloises, le proconsul romain Jules César propose son «aide» aux chefs des différentes tribus gauloises. Commence alors la pénétration romaine en Gaule, dont le ressort stratégique essentiel sera l’évaluation des rapports de force au sein des tribus gauloises et de leurs divisions. Eminemment corruptrice, la politique césarienne vise à appuyer les ambitions locales les unes contre les autres, à diviser pour régner. La puissance militaire et financière fera le reste.

Mais c’est compter sans l’énergie farouche ni l’intelligence politique d’un jeune chef de tribu arverne, Vercingétorix, dont le travail va consister en priorité à réunifier les tribus gauloises et à se positionner comme chef unique d’un peuple unique. Alors que Vercingétorix accumule les victoires, César va alors s’allier avec certaines tribus germaines, celles-là même qu’il prétendait combattre (!), pour en finir avec la rébellion gauloise. La manœuvre fonctionnera à merveille: Vercingétorix et les siens seront battus par cette coalition insolite.

Pendant ce temps, à Rome, on vit encore sous le système dit de la République. Les riches familles patriciennes règnent; les autres citoyens – artisans, marchands, etc. – sont regroupés sous l’appellation de plébéiens; ils sont des citoyens de seconde zone sur le plan social, mais sont représentés au Sénat, ont droit de vote et d’expression. Ces droits ont été acquis par de longues luttes au cours des siècles précédents. Séduits par son côté franc-tireur, les plébéiens voient César comme un héros et l’appuient. Auréolé de sa victoire, ce dernier rentre à Rome, prend le pouvoir et commence son entreprise de démolition de la République.

Le lecteur aura de lui-même tracé les parallèles et qui s’imposent avec l’époque actuelle. Ajoutons à cela que César avait autour de lui une cohorte de banquiers à qui il avait promis des chantiers de reconstruction sur les zones conquises et dévastées, et le rapprochement avec les guerres moyen-orientales menées par l’Occident, au nom de la démocratie contre la barbarie, sera complet, jusque dans ses alliances contre-nature.

Pour compléter le tableau politique, il nous faut souligner le travail de distraction opéré par le régime romain pour amadouer ses citoyens via des jeux, combats de gladiateurs, courses de chars et autres subterfuges précurseurs de la société du spectacle. Difficile de ne pas y penser de nos jours, à chaque Coupe du monde ou autre ramdam sportif matraqué à grand renfort médiatique et publicitaire! Ainsi notre monde, malgré ses acquis technologiques, philosophiques, politiques ou éthiques, présente, deux mille ans plus tard, bien des similitudes avec celui de l’Antiquité romaine.

En termes de stratégie de domination, de «gouvernance mondiale», les puissances politiques semblent utiliser les mêmes stratagèmes que ceux mis en place par César et ses semblables. Les crises moyen-orientales qu’on nous présente comme si compliquées peuvent, du moins dans leur volet géostratégique et économique, s’expliquer en grande partie en décalquant les stratégies occidentales ou russes sur la stratégie romaine en Gaule.

Mais tout comme l’Empire romain, le camp impérial n’est pas homogène; il repose sur des intérêts divergents et des alliances mouvantes. Ainsi les impératifs économico-politiques des uns et des autres s’entrechoquent-ils violemment au sein de la région irako-syrienne ou ailleurs, au grand dam des populations civiles, comme toujours sacrifiées sur l’autel des intérêts des puissants.

Rappelons rapidement la définition de la guerre capitaliste par Lénine au début de la Première Guerre mondiale: «Le monde entier devient un organisme économique unique. Les pays exportateurs de capitaux se sont partagé le monde. La guerre mondiale est une guerre impérialiste, une guerre pour le partage du monde pour la redistribution des colonies, des zones d’influence du capital financier.» On connaît la suite, en ce qui concerne les conséquences de cette guerre. Et, aujourd’hui comme hier, les couteaux sont aussi tirés au sein même de chaque puissance.

A ceux qui sont rassurés par les actuels déboires internes de Trump et par la force supposée du système démocratique étasunien, on rappellera la suite de l’aventure césarienne: de retour à Rome, César fait basculer la République dans la dictature. Des notables l’assassinent alors, mais sont eux-mêmes éliminés par d’autres notables; puis Octave, neveu de César, prend le pouvoir et devient le premier Empereur de Rome. Pérennité des conquêtes, fin de la République. L’Aigle domine le monde.

Comme Vercingétorix, il nous faut aujourd’hui rêver d’une unité des peuples arabes, africains, européens, de tous les peuples du monde, contre les intérêts particuliers de quelques familles patriciennes mafieuses et concurrentes. Mais le poison de la division, même s’il fait parfois des dégâts en son sein, demeure l’arme suprême de la classe dominante contre le reste de l’humanité. Le mot de la fin à Bob Marley: «They don’t want to see unite/Cause all they want us to do is keep on fussing and fighting/They don’t want to see us live together/All they want us to do is keep on killing one another».1 value="1">«Ils ne veulent pas nous voir unis/Tout ce qu’ils veulent c’est/Que nous continuions à nous quereller et nous combattre/Ils ne veulent pas nous voir vivre ensemble/Tout ce qu’ils veulent c’est/Que nous continuions à nous entretuer.» (trad.: http://aplane.free.fr/)

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Opinions Chroniques Dominique Ziegler

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lundi 8 janvier 2018

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