Genève

La peur et les valeurs

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L’achat de fusils d’assaut utilisant des balles «à expansion contrôlée» pour armer les policiers genevois indigne des députés de gauche. Ils s’insurgent notamment que des projectiles «interdits par le droit international» puissent être utilisés par les gendarmes du canton qui a vu naître la Croix-Rouge et qui a donné son nom à la Convention de Genève. Le Département de la sécurité, la police et la droite du Grand Conseil balaient ces critiques. Ces munitions sont autorisées pour les forces de sécurité – d’autres cantons en possèdent d’ailleurs –, et les gendarmes doivent désormais s’équiper d’armes lourdes pour pouvoir combattre les terroristes et les délinquants qui n’hésitent pas à porter des gros calibres, eux, assurent-ils. «On ne vit pas dans le monde des Bisounours», nous apprend-on en prime.

Personne ne nie que des attaques meurtrières ont eu lieu dans plusieurs pays d’Europe. Personne n’affirme que la Suisse est totalement préservée de cette menace. Personne ne discute non plus l’achat de matériel de protection moderne pour les agents.

Il n’en est pas moins inquiétant d’observer que le spectre du terrorisme permet de tuer dans l’œuf presque tout débat dès qu’il est question de politique sécuritaire. Selon certains députés, il faut en effet faire une confiance aveugle aux «spécialistes» en la matière. Bref, laisser la police tout décider. Sans rien lui contester.

Sans entrer dans les détails techniques sur ces balles ni sur le vide juridique quant à leur utilisation par les gendarmes, on doit tout de même s’étonner que les policiers suisses – et non plus seulement les «groupes d’élites» – s’équipent désormais avec des armes de guerre. Et ceci sans que la nécessité réelle de tels fusils contre un potentiel terroriste qui se ferait exploser au milieu d’une foule ne soit débattue. On peut aussi questionner que l’armement lourd de certains braqueurs entraîne, en réaction, la militarisation de la police – malgré les dérives observées aux Etats-Unis, pays qui a déjà largement franchi ce pas. Et ce sans se faire traiter de naïf déconnecté de la réalité.

Mais la peur est passée par là. Après le 11 septembre 2001, Washington a réussi à faire adopter presque sans opposition un imposant paquet de lois piétinant les libertés individuelles. En France, à la suite des attaques terroristes de Paris, l’Etat d’urgence a donné lieu à de nombreux abus. Il est pourtant toujours solidement en place. En Suisse, alors qu’aucun attentat terroriste n’a eu lieu, les citoyens on déjà accepté un recul sur la protection de leur vie privée en adoptant la nouvelle loi sur le renseignement en septembre 2016.

La question n’est pas de nier le danger pour la population que représentent de potentiels terroristes ni la violence de certains délinquants. Mais seulement de réaffirmer que la peur ne doit pas nous obliger à renoncer à nos valeurs. Et encore moins à renier un principe fondamental de la démocratie: la nécessité que le peuple – ou ses représentants – surveille le surveillant. I

Opinions Régions Genève Édito Gustavo Kuhn Genève

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