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L’intensité des activités politiques à l’étranger doit être examinée avec sérieux

Chronique des droits humains

Le 30 mai dernier, la Cour européenne des droits de l’homme a rendu deux arrêts concernant la Suisse à propos de l’éventuel renvoi au Soudan de deux requérants d’asile, membres d’un groupe d’opposition. Dans un cas, elle a conclu à ce qu’il n’y aurait pas violation des articles 2, protégeant la vie, et 3, interdisant les traitements inhumains et dégradants, de la Convention, si le requérant était renvoyé vers le Soudan. Dans un autre cas cependant, elle a dit qu’un renvoi du requérant vers le Soudan constituerait une violation de ces dispositions1.

La différence entre les deux causes tient à l’intensité de l’activité politique déployée par chacun des requérants. Alors que, dans le premier cas, le requérant se contentait de participer aux activités des organisations de l’opposition, l’engagement politique du deuxième requérant, déjà non négligeable au Soudan, s’était intensifié avec le temps. En outre, il avait été amené à côtoyer de façon régulière les dirigeants de la branche suisse de l’opposition en exil.

La Cour rappelle que les Etats contractants ont le droit, en vertu d’un principe de droit international bien établi, de contrôler l’entrée, le séjour et l’éloignement des non nationaux. Elle souligne cependant que l’expulsion d’un étranger par un Etat contractant peut soulever un problème au regard de l’article 3 de la Convention et donc engager la responsabilité de l’Etat, lorsqu’il y a des motifs sérieux et avérés de croire que l’intéressé, si on l’expulse vers le pays de destination, y courra un risque réel d’être soumis à un traitement contraire à l’article 3. Dans ce cas, cette disposition implique l’obligation de ne pas expulser la personne en question vers ce pays.

Pour ce qui concerne le Soudan, la Cour note, en particulier sur la base de rapports d’experts agissant tant pour le compte des Nations Unies, de divers gouvernements que d’organisations non gouvernementales, que la situation des droits de l’homme dans ce pays était alarmante, en particulier pour les opposants politiques et qu’il n’y avait pas eu d’amélioration significative depuis 2014, les conflits au Darfour, au Kordofan du Sud et dans la région du Nil Bleu persistant. Les individus suspectés d’appartenir à des mouvements rebelles, ou de les soutenir, continuaient d’être arrêtés, détenus et torturés par les autorités. Enfin, il était reconnu que le gouvernement soudanais surveillait les activités des opposants politiques à l’étranger.

Le requérant affirmait avoir été promu au poste de responsable médias de la section suisse du mouvement d’opposition dont il faisait partie et avoir écrit des articles exposant des opinions très critiques à l’égard du gouvernement soudanais et des islamistes de ce pays. Le Tribunal administratif fédéral, seule instance judiciaire interne à avoir examiné son cas, avait remis en question ces affirmations, sous prétexte que le nom figurant sous la signature de ces articles n’était pas strictement le même que celui fourni aux autorités qui avait traité sa demande d’asile. La Cour relève que le requérant lui avait expliqué de manière crédible la raison de cette divergence à propos des différentes variantes de son nom, alors que le Tribunal administratif fédéral n’avait pas interpellé le requérant sur cette question. Ainsi, la Cour a observé que le requérant était susceptible d’avoir attiré l’attention des services de renseignements soudanais et qu’il existait des motifs raisonnables de croire que le requérant risquait d’être détenu, interrogé et torturé à son arrivée à l’aéroport de Khartoum.

Cette nouvelle condamnation de la Suisse met en lumière la carence de l’organisation judiciaire suisse. Les décisions du Secrétariat aux migrations sont susceptibles d’être portées uniquement devant le Tribunal administratif fédéral qui statue en dernier recours, sans que les arrêts de ce dernier puissent faire l’objet d’un recours au Tribunal fédéral.

Opinions Chroniques Pierre-Yves Bosshard

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