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Laborieuse mise en œuvre de l’accord de paix en Colombie

Semaine historique pour la Colombie qui a fêté le 27 mai le dernier anniversaire des Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc) en tant que guérilla. L’événement s’inscrit dans le sillage des 180 jours d’implémentation de l’accord de paix signé le 31 novembre 2016. Bilan de la mise en œuvre de l’accord avec les ex-combattants des Farc dans l’une des 26 zones de transition vers la normalisation (ZVTN) à Mesetas, dans le département de Meta, l’un des plus touchés par le conflit.
Transition

A l’occasion du 53e anniversaire des Farc le 27 mai dernier, des membres de la famille des ex-combattants, des universitaires, des représentants de l’Eglise, des mouvements sociaux et d’ONG ont été invités. Une journée hautement symbolique dans la mesure où il s’agit du dernier anniversaire des Farc en tant que mouvement armé. «Aujourd’hui, ils rêvent avant tout de la paix pour les communautés rurales les plus abandonnées par l’Etat ainsi que toutes les victimes marginalisées que comptent les grandes villes du pays», affirme notamment le commandant Aldinever Morantes. Des trois jours passés sur place, à Mesetas, nous retenons un discours homogène sur le souhait de pouvoir mener une vie politique et sociale en tranquillité, dans des conditions dignes et avec les mêmes droits que tous les citoyens colombiens.

Six mois après la signature de l’accord entre le gouvernement colombien et les Farc, force est de constater que le gouvernement traîne les pieds et n’a toujours pas respecté ses engagements. Les baraquements ne sont pas construits, les sanitaires inexistants, tout comme les cuisines ou encore les infrastructures d’approvisionnement d’eau potable. A leur arrivée, il y a quatre mois, les ex-combattants ont dû construire de leurs propres mains un campement pour plus de 600 habitants. Aujourd’hui, la zone se résume à des cabanes en bois et en bâches qu’ils ont rassemblées. L’eau provient de la rivière ou des pluies. La cuisine se fait principalement sur un feu de bois. En bref, leurs conditions de vie sont encore identiques à celles qu’ils avaient durant le conflit, lorsqu’ils luttaient encore armés dans les campagnes colombiennes.

A 4 kilomètres de ce premier campement, le gouvernement colombien a entrepris la construction d’un lieu de vie destiné à accueillir une centaine de personnes. Sachant qu’il est prévu d’y accueillir environ 800 amnistiés, les installations ne sont pas suffisantes. De plus, les constructions sont en grande partie inachevées et comportent des défauts qui mettent en danger les 164 amnistiés habitant actuellement la zone.

Durant cette période de transition, les Farc sont très dépendants de l’Etat. Ce dernier est garant du ravitaillement en nourriture et en médicaments. Parfois, les provisions arrivent avec plusieurs semaines de retard. Cette grande précarité affecte la santé physique et mentale des ex-combattants, mais également celle de leurs enfants. En effet, depuis cinq ans, date du début des négociations à la Havane, les membres des Farc ont commencé à fonder des familles, animés par l’espoir d’un retour à la vie civile. Néanmoins, aucune mesure n’a été prévue dans les accords quant aux besoins particuliers des nouveau-nés. Dès lors, il n’y a pas de ravitaillement de nourriture ni de médicaments pour eux. Une chose est de vivre simplement en temps de guerre, motivé par une lutte pour ses idéaux; une autre est de choisir de déposer les armes et rêver d’un quotidien stable.

A ce jour, les mécanismes contenus dans l’accord de paix ne sont pas encore entrés en vigueur ou dysfonctionnent. Selon les dirigeants des Farc, le retard dans l’accomplissement des tâches que le gouvernement s’était engagé à accomplir justifierait un ralentissement du désarmement. Il s’agirait d’une manière de mettre la pression sur l’Etat afin qu’il garantisse l’implémentation de ce qui a été accordé. Sans surprise, le 30 mai dernier, un nouveau calendrier a été dévoilé. La fin du désarmement a été fixée au 20 juin 2017. La durée des zones de transition a également été prolongée jusqu’au 1er août 2017.

Malgré le retard pris par les processus, une partie de la société colombienne croit encore à la fin d’un conflit armé. A présent, un travail important de pédagogie de paix et de reconnaissance des ex-combattants en tant qu’êtres humains doit impérativement être mené afin d’assurer la reconstruction du tissu social, fortement affaibli après plus de 50 années de guerre.

* Anthropologue spécialisée dans les droits humains, Caroline Ritter réside et travaille actuellement en Colombie.

** Juriste spécialisée dans les droits humains et les modes amiables de gestion de conflit, Yina Avella travaille pour la Corporacion Claretiana Norman Perez Bello, à Bogota, partenaire de l’ONG suisse Comundo.

Opinions Agora Caroline Ritter et Yina Avella Transition

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