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Sandwich et philosophie

C’est sur le thème «Consentement et désobéissance civile» qu’aura lieu, du 18 au 21 mai à Paris, l’avant-dernier colloque alternatif du Programme Exil-Desexil du Collège international de philosophie. Où il sera question de l’émancipation pratique en acte.
Colloque

En participant à la création d’un espace public, on pense à la liberté, à la servitude «volontaire» de Montaigne. La servitude serait-elle volontaire? «Quand céder n’est pas consentir», nous avertit l’anthropologue féministe matérialiste Nicole-Claude Mathieu1 value="1">Dans le Programme CIPh, nous avons traduit trois féministes matérialistes en espagnol en lien avec un colloque au Chili, cf.: www.exil-ciph.com dans un texte qui fait date. Elle insère la question dans l’histoire et les rapports de pouvoir. Elle se basait sur le renversement théorie-pratique (Hegel) en pratique-théorie (Marx). Les femmes ne consentent pas à la servitude, mais cèdent devant la force. Son approche renouvelle les approches classiques du savoir, de la désobéissance civile. De cela nous allons débattre à Paris, puis à Genève (31 mai au 3 juin).

La pratique du savoir a les pieds dans la boue de l’histoire et du présent. C’est un désir puissant de liberté, un acte individuel, collectif d’«étonnement», de curiosité. Il ne se réduit pas à un système d’idées, à énoncer des normes, faire la morale, mettre en œuvre des prophéties, «catastrophistes» ou «utopistes».

Le besoin de s’interroger sans fin, de se poser des questions sur tout (vie, mort, amour, justice, etc.) n’est pas du même ordre que croire. Pratiquer la philosophie sans maître, c’est savoir qu’on n’a pas choisi de naître et de mourir, qu’on ne sait pas de quoi demain sera fait, qu’on peut vivre sans réponse, que nous ne faisons que passer. Il n’y a pas de paradis pour la philosophie. La philosophie est née avec la démocratie. L’émancipation en acte, c’est ne déléguer à personne la liberté de penser pour nous (Kant, «Lumières»). Tout n’est pas organisé au départ. Il en découle une approche «constructiviste» du savoir (Piaget) et des pédagogies «par le bas» (Freire) sans schémas tout faits. C’est un lieu où chacun-e vient dans une position de non-savoir et de non-pouvoir.

C’est la raison pour laquelle nous commençons le colloque par quatre ateliers et nous finissons par une journée de synthèse en plénière. Les savoirs sur des expériences à partir de l’interrogation sur l’exil et le desexil y seront partagés. Plus de cinquante personnes prendront le risque de penser, de parler, d’écrire. Pas facile. Le titre des ateliers (cf. programme) est le cadre des prises de parole de professionnels (social, santé, enseignement, recherche, journalisme, art…), militants de tous âges, de tous lieux.

«La politique a-t-elle encore un sens?» se demandait Hannah Arendt dans un essai sur la politique. Elle s’interrogeait après les désastres du XXe siècle. Elle était inspirée par la Grèce (démocratie), Rome (république) et Rosa Luxemburg (révolution permanente, conseils)2 value="2">Un séminaire du CIPh a eu lieu sur Rosa Luxemburg et Antonio Gramsci en 2016. Les conférences sont sur le site, les Actes sont en préparation.. Aujourd’hui, le désir de (re)fondation est à la fois plus tragique et complexe.

J’ajouterai: la philosophie comme pensée libre, autonome, apatride, a-t-elle encore un sens? La sociologue Colette Guillaumin déclarait en 1986 dans le Groupe de Genève «Violence et droit d’asile en Europe»: «Penser un fait, c’est déjà changer un fait». Le changement est urgent (débat sur la révolution, l’insurrection), mais est-il encore possible de penser? La philosophie est-elle encore possible quand la société de consommation, l’utilitarisme, la bureaucratie, la hiérarchie, la professionnalisation de la vie civique dominent le monde?

En relation à une expérience d’Université libre mise en place par des petites mains, je poserai une question pratique: quel lien entre sandwich et philosophie? L’émancipation en acte est-elle imaginable à l’heure où même les idées sont devenues des produits consommables, où nous nous affrontons à la bureaucratie non seulement de l’Etat, mais des partis, des syndicats, à la professionnalisation des mouvements? Est-il possible de mettre sur pied un moment d’auto-organisation et de pensée libre?

Répondre à ces questions suppose qu’on observe l’organisation d’un colloque atypique (pourquoi se fatigue-t-on dans les mouvements de résistance? Pourquoi la présence des femmes est-elle majoritaire dans les petits travaux?). Postulons que quand on s’inscrit, on réalise qu’il a fallu quelqu’un pour chercher des salles, préparer les sandwichs, le buffet, le graphisme, les enregistrements, la circulation de l’information, les dossiers, etc. Qui a fait le travail? Pourquoi ce type de travail est-il salarié? ou alors est-il devenu invisible? Les non-salarié-e-s seraient-ils de doux rêveurs?
* Collège international de philosophie (CIPh), Genève-Paris.

Notes[+]

Opinions Agora Marie-Claire Caloz-Tschopp Colloque

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