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La Genève internationale: du «contenant» et du «contenu»

A l’aune du réaménagement de divers bâtiments de la Genève internationale, Ricardo Espinosa, anciennement chargé des relations entre l’ONU et les ONG, plaide pour un rapprochement de la société civile et des organisations onusiennes.
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On ne peut que s’en réjouir: avec une dépense de quelque 3 milliards de francs, une partie importante des bâtiments de la «Genève internationale» sera rénovée au bénéfice d’installations modernes et fonctionnelles.1 value="1">Lire C. Bernet, «Trois milliards de francs pour la Genève internationale», 24 Heures, 13 avril 2017, bit.ly/2qWGzuQ La paix, la sécurité, les droits de l’homme et le bien-être du monde valent bien ce prix! Sous forme de prêts et de mises à disposition de terrains, ce seront près de 800 millions de francs que nos autorités consacreront à cet immense chantier. Principalement, le Palais des Nations, le Bureau international du travail, l’Organisation mondiale de la santé, l’Union internationale des télécommunications et la Fédération de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge en seront les heureux bénéficiaires. Un Portail des Nations, une Cité de la musique, un foyer d’accueil pour migrants, le prolongement du tram 15 vers la France voisine et l’aménagement de la route des Nations complètent les dépenses.

Certaines organisations de la société civile, s’inscrivant dans cette dynamique, vont également améliorer leurs conditions de travail, grâce à l’apport de fonds propres ou privés (le Conseil œcuménique des Eglises et l’ONG Médecins Sans Frontières, entre autres). Trois milliards, une goutte d’eau à côté des 1,676 milliards de dollars que les Etats membres de l’ONU ont dépensé en armements en 2016! Voilà pour le «contenant».

Pour le «contenu», il n’est plus nécessaire de présenter les initiatives innovantes – ô combien opportunes – de Michael Moeller, directeur général de l’ONU à Genève, destinées à informer le grand public sur ce que le travail quotidien des organisations internationales apporte concrètement aux citoyens. Chaque jour, à Genève, sont prises des décisions qui affectent directement et indirectement notre santé, les droits des travailleurs, la protection des brevets, les droits de l’homme, etc.

Les Nations unies sont une nécessité. Des réformes de fond sont certes nécessaires, voire impératives: le fonctionnement antidémocratique du Conseil de Sécurité n’est plus adapté et le droit de veto doit être remis en question. De nouvelles conceptions sur la gouvernance globales ont surgi ces trente dernières années, qui demandent plus de participation citoyenne dans la gestion des affaires du monde. L’efficacité des actions de développement est entravée par le manque d’affectation adéquate des ressources financières, ainsi que par l’absence de volonté politique des gouvernements qui n’assument pas leurs responsabilités. Enfin, le système de management vertical de l’ONU est dépassé, le personnel n’est pas systématiquement consulté sur des décisions qui le concernent, vit dans la crainte de coupes salariales, sans compter la détérioration de ses conditions de travail.

Dans ce panorama, il manque pourtant à Genève une «pierre à l’édifice»: un espace de cohabitation, de rencontres et d’expression dédié à la société civile, qui enrichirait le «contenu» de la Genève internationale. Les organisations de la société civile sont des milliers à participer, tous les jours, aux réunions et conférences à l’intérieur et à l’extérieur des enceintes onusiennes. Nul ne sait exactement combien elles sont. Quelques centaines d’entre elles ont des bureaux à Genève, mais la majeure partie y viennent le temps d’une conférence, d’une consultation, puis repartent, la plupart du temps non sans avoir enrichi un tant soit peu la Cité de leurs contributions, de leurs savoir, de leurs expériences. Cet apport d’une valeur inestimable est méconnu, voire ignoré de la communauté suisse et genevoise. Seule une infime partie de ces contributions arrive aux oreilles des Genevois. La Cité ne tire pour ainsi dire aucun profit de ce que la société civile apporte aux Nations unies et la Genève internationale ne rayonne pas dans le monde grâce à la société civile qui y évolue.

Pourtant, dans les 3 milliards mentionnés, quelques millions suffiraient pour créer un «contenant société civile», un espace de rencontres, de débats et de dialogue multi-acteurs, géré par et pour la société civile, qui aurait pour missions de se faire l’écho vers la Cité de ses succès (et ses échecs…) dans le système multilatéral. Amener vers la Cité le «contenu» des enceintes onusiennes, l’analyser, le compléter, l’enrichir… tel serait le sens d’un tel espace. Amener un peu de la Genève internationale vers l’autre rive du lac, en délocalisant une partie de ses activités et de ses locaux. Le suivi de la mise en œuvre de l’Agenda 2030 se passe à Genève: amener vers la Cité la contribution de la société civile dans ce domaine, voila une manière appropriée de rapprocher l’ONU de la population genevoise.

Seulement, il n’existe pas, à notre connaissance, un projet concret, visionnaire et viable! Si d’aventure quelques millions venaient à être prochainement disponibles à Genève pour un projet de bâtiment destiné à la société civile, ONG et monde associatif, les conditions suivantes devraient être respectées: 1) que le projet fasse l’objet d’une consultation préalable de la société civile représentative; 2) que la vision, la mission, la stratégie et le programme de travail (le «contenu») aillent de pair avec l’agenda général de la communauté internationale et avec les thèmes prioritaires issus de la société civile en particulier, 3) que le «contenant» (projet architectural) fasse l’objet d’un appel d’offres ouvert et transparent; enfin, 4) que la direction et la gestion de l’espace soient confiées à des professionnels expérimentés, fiables, transparents, qui jouissent de la confiance des autorités et de la société civile.

Le capital humain requis pour proposer et monter ce genre de projet existe à Genève. Il est grand temps que la Genève internationale se penche sur la société civile organisée pour qu’elle trouve la place qui lui revient parmi les acteurs internationaux présents dans la Cité. En juin 2013, les autorités fédérales ont publié un rapport sur la stratégie politique de la Suisse pour et par la Genève internationale. Il serait opportun que ces mêmes autorités mettent à disposition les moyens pour développer une stratégie de la Genève internationale pour et par la société civile.

Notes[+]

* Ancien chef de relations de l’Office des Nations Unies à Genève avec les ONG et la société civile, président du Forum démocratique mondial.

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