Chroniques

Magnifique Reine Pokou!

EST-CE BIEN RAISONNABLE?

Vendredi dernier à Montreux, l’auditorium Stravinski était plein à craquer pour la seule et unique représentation de Reine Pokou, magnifique spectacle musical mêlant jazz, musiques africaine et classique, chanté par des centaines de choristes, inspiré par le livre Reine Pokou de l’écrivaine ivoirienne Véronique Tadjo. Une légende populaire mettant en scène le destin tragique d’une reine ouest-africaine, qui doit se résoudre à sacrifier son fils unique pour sauver son peuple, les Baoulés, dans leur longue marche du Ghana jusqu’en Côte d’Ivoire.

Toute création artistique est en soi un petit miracle, mais celle-ci particulièrement. Il y a quatre ans en effet, le compositeur et batteur vaudois Jérôme Berney eut un coup de cœur pour la saga de la reine Pokou, en lisant le livre du même nom signé par Véronique Tadjo (chez Actes Sud, 2005). Il imagine alors un grand spectacle à partir de cette histoire bien connue en Afrique de l’Ouest, aux accents universels, dont il écrirait la musique. Il contacte l’écrivaine franco-ivoirienne, qui enseigne en Afrique du Sud, laquelle donne aussitôt son accord. Les deux vont alors travailler ensemble à distance, et ce n’est que lors du récent Salon du livre de Genève qu’ils se sont rencontrés «pour de vrai».

Jérôme Berney n’a pas froid aux yeux. A preuve: c’est lui qui écrit la musique de la prochaine Fête des Vignerons de 2019, qui réunira à nouveau, comme chaque quart de siècle, des centaines de choristes et de figurants. Pour Reine Pokou, il a également vu grand: le chœur d’Oratorio de Montreux a participé à la création, rejoint sur scène par le chœur du Gymnase de Burier, dirigé par Yves Bugnon, et le chœur d’enfants LaDo des écoles de La Tour-de-Peilz – en tout quelque 250 choristes. A cela s’est ajouté un orchestre de jazz, ainsi que, pour les sonorités africaines auxquelles Véronique Tado tenait beaucoup, le duo Kala Jula – composé du musicien malien Samba Diabaté et du Valaisan Vincent Zanetti, formé à la kora et au djembé par des grands maîtres, et l’un des rares étrangers à avoir été initié par la confrérie traditionnelle des dozos au Mali.

Ce 5 mai, le puzzle s’est donc mis en place, et le spectacle fut grandiose, avec ces chœurs chantant d’une voix aiguë: «Pourquoi faut-il toujours que les femmes voient partir leurs fils?». Chaque choriste portait un morceau de pagne kita, orange et vert, symbole du peuple Ashanti, sous forme de gilet, d’écharpe ou de bandeau, tandis que les djembés du groupe Kala Jula les faisaient onduler en tapant des mains. Le public, enthousiaste, s’est levé pour les ovationner, avec plusieurs rappels à la clé. Le rêve de Véronique Tadjo et Jérôme Berney serait maintenant de pouvoir monter ce spectacle en Côte d’Ivoire, où un festival Abla Pokou s’est tenu pour la deuxième fois du 2 au 5 mai derniers en plein cœur du pays baoulé. «Nous pourrions compter sur les nombreux chœurs et groupes de musiciens déjà existants», s’enthousiasme Véronique Tadjo.

Durant la semaine qui a précédé le spectacle, elle a sillonné la Suisse romande pour parler de son livre, qui a reçu le Grand Prix littéraire d’Afrique noire en 2005, ainsi que de la belle aventure de cette création musicale. «Cette légende a bercé mon enfance et, plus tard, en tant que mère, l’histoire de cette femme sacrifiant son fils unique pour sauver son peuple m’a à nouveau saisie», raconte-t-elle. Elle a également rappelé devant les étudiants de Christine Le Quellec – qui enseigne la littérature d’Afrique francophone à l’université de Lausanne – réunis à l’Espace Held, à Ecublens, le contexte politique tendu, marqué par le concept d’«ivoirité» dans lequel elle écrivit son livre. C’est qu’en filigrane, l’histoire de la reine Pokou raconte aussi que les «ethnies» formant un peuple, dont celle des Baoulés en Côte d’Ivoire, viennent le plus souvent d’«ailleurs». Une réalité universelle qu’il vaut la peine de rappeler sous toutes les latitudes.

* Journaliste, SWISSAID (l’opinion exprimée ne reflète pas nécessairement celle de SWISSAID).

Opinions Chroniques Catherine Morand

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lundi 8 janvier 2018

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