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Evasion fiscale

(Re)penser l'économie

Les pratiques visant à échapper à l’impôt, qu’il s’agisse des particuliers ou des entreprises, constituent ce que nous appelons une forme de sécession des riches au regard de la société. Pendant des décennies, l’évasion fiscale a été largement banalisée, voire valorisée par les partisans du moins d’Etat. Certains allant même jusqu’à considérer l’impôt comme confiscatoire dès lors que les taux atteignent un certain niveau. Cette banalisation se manifestait, par exemple lors de l’ouverture d’un compte dans une banque suisse, par une première question consistant à demander s’il s’agissait d’argent déclaré, afin de conseiller le client vers les formes de placement les plus adaptées à la réponse.

Dans ce billet, nous allons traiter de l’évasion fiscale des entreprises, et plus particulièrement des transnationales qui disposent de moyens importants pour minimiser leur imposition. Ce que certains fiscalistes nomment pudiquement «l’optimisation fiscale». L’Union européenne évalue les pertes fiscales en provenance des entreprises à 1000 milliards d’euros par an. Prenons le cas du secteur bancaire. Depuis 2015, les banques européennes doivent publier les bénéfices et les impôts payés dans chaque pays où elles sont implantées. Oxfam1 value="1">Oxford Committee for Relief Famine, www.oxfam.org/fr vient de rendre publique une étude sur le recours aux paradis fiscaux par les vingt plus grandes banques européennes. Les résultats sont éloquents: «Si les paradis fiscaux ont contribué à hauteur de 26% au total des bénéfices générés par les vingt plus grandes banques européennes, ils ne représentaient que 12% du total de leur chiffre d’affaires et 7% du nombre de leurs employés. Ces chiffres illustrent le net décalage entre les bénéfices que ces banques génèrent dans les paradis fiscaux et le niveau d’activité économique réelle qu’elles y réalisent.»

On apprend ainsi dans ce rapport qu’en 2015, ces vingt plus grandes banques européennes ont réalisé 4,9 milliards d’euros de bénéfice au Luxembourg, soit davantage qu’au Royaume-Uni, en Suède et en Allemagne réunis! A elle seule, la banque Barclays a déclaré 557 millions d’euros de bénéfice au Luxembourg et payé 1 million d’euros d’impôt, soit un taux de moins de 0,2%. Enfin des bénéfices sont réalisés dans des paradis fiscaux alors que la succursale concernée n’emploie aucun salarié!

Ces données concernant le secteur bancaire peuvent être élargies à toutes les entreprises transnationales qui utilisent les mêmes mécanismes. En automne 2016, des salariés belges de Caterpillar sont venus manifester à Genève auprès du siège de la société pour protester contre la fermeture de leur usine. Les dirigeants justifiaient la fermeture de l’usine belge par son manque de rentabilité. Dans la réalité, les profits réalisés en Belgique étaient transféré au siège de Genève par le biais de prix de transfert sur les brevets et autres astuces comptables. Ainsi Caterpillar ne payait aucun impôt en Belgique et probablement très peu d’impôt en Suisse de par son statut fiscal particulier.

Face à l’évasion fiscale, il est coutumier d’affirmer que les grandes sociétés trouvent toujours les moyens d’échapper à l’impôt. Il faut battre en brèche ce fatalisme qui sert surtout de prétexte pour ne rien faire. Les premières décisions de l’Union européenne exigeant pour ces entreprises des comptabilités pays par pays commencent à porter leurs fruits, même si cela reste très insuffisant. Ce qu’il faut introduire, c’est une modification de la taxation des personnes morales. Comme pour les personnes physiques, il faut établir une taxation progressive selon les bénéfices en relation avec le capital de la société. En effet, il n’existe aucune justification au fait que le barème de l’impôt progresse pour les individus et non pour les sociétés. Ce système était par exemple en vigueur à Genève jusque dans les ­années 1990.

Ensuite, une fiscalité de ce type permet de taxer plus fortement les bénéfices lorsque ceux-ci constituent un fort pourcentage par rapport au capital de la société. C’est ce que l’on appelle l’intensité de rendement: lorsque le bénéfice est important par rapport au capital investi, il est normal que le profit plus élevé soit taxé davantage. De ce fait, les entreprises transnationales n’auraient guère d’intérêt à transférer leurs bénéfices ailleurs que dans les pays où leur activité économique réelle se réalise.

Notes[+]

* Membre de SolidaritéS, ancien député.

Opinions Chroniques Bernard Clerc

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