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LGBTIQphobie: nouvelle norme pénale?

ENTRE SOI.E.S

L’Evêque de Sion qui proclame que l’homosexualité est une faiblesse de la nature et qu’elle peut être guérie1 value="1">«Les propos de l’évêque de Sion sur l’homosexualité font réagir», Le Nouvelliste, 19.05.2015. Celui de Coire qui reprend les versets bibliques la décrivant comme une abomination méritant la mort pour étayer ses positions sur la famille2 value="2">«Nouvelles déclarations homophobes de l’évêque de Coire», Le Journal du matin, RTS, 03.08.2015. Yves Nidegger (UDC/GE) qui en mars 2017 sous-entend que la bisexualité pourrait tenir d’une fantaisie sexuelle, voire d’une pathologie au même titre que la zoophilie et la nécrophilie3 value="3">«Traiter le sexe comme une ethnie ou une religion? En voilà une Schnapsidee», Yves Nidegger, Le Temps, 30.03.2017.

Ce genre de propos LGBTIQphobes ne sont actuellement pas pénalisés en Suisse. Ils sont ainsi largement diffusés, rendant le climat d’hostilité envers les personnes LGBTIQ légal, voire légitime. Dans ce domaine, la Suisse essuie un retard législatif important sur ses voisins, mais les choses pourraient bientôt changer. En effet, une initiative parlementaire, déposée par Mathias Reynard (PS/VS), visant à étendre la norme antiraciste du Code pénal suisse (article 261bis CP) aux propos homo- et transphobes, vient d’être acceptée par les Commissions juridiques des Chambres. La nouvelle teneur de cet article pénal interdit notamment les incitations à la haine ou la propagation d’une idéologie visant à rabaisser ou à dénigrer de façon systématique les personnes sur la base de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre.

Cette modification est importante car actuellement, au niveau pénal, seules les insultes homo- et transphobes dirigées vers une personne déterminée sont réprimées par l’article 177 du Code pénal qui traite de l’injure, alors qu’il reste licite de propager largement des propos haineux envers l’homosexualité, la bisexualité, la transidentité ou envers toutes les personnes LGBTIQ. Pour le dire crûment, traiter quelqu’un-e de «travelo», «gouine» ou «pédé» dans la rue ou sur les réseaux sociaux est pénalement répréhensible à l’heure actuelle. Se déclarer «contre la banalisation de l’homosexualité» car elle serait un «comportement déviant» «qui s’inscrit contre la famille et également contre l’équilibre psychique et moral de la jeunesse»4 value="4">«Non à la banalisation de l’homosexualité», UDC Valais romand, 17.05.2009, c’est OK. Comme si ces deux types de propos ne participaient pas de la même oppression, comme s’ils n’existaient pas l’un sans l’autre, et qu’ils n’étaient pas tous deux des actes de violence envers les personnes concernées.

Le nouvel article 261bis marquera donc résolument un progrès. Mais comment sera-t-il appliqué? L’article actuel, qui pénalise la discrimination raciale, peut nous apporter un éclairage instructif. Si des associations antiracistes ont utilisé cette disposition du Code pénal comme une ressource politique et rhétorique, comme un «vecteur de coalition et de solidarité»5 value="5">«La norme pénale contre le racisme: un regard critique et transdisciplinaire», interview de Noémi Michel et Tarek Naguib, 01.07.2016, les tribunaux peinent toutefois à saisir les expressions les plus courantes et diffusées du racisme. Un des exemples les plus fameux de cette faiblesse reste l’affiche des moutons noirs de l’UDC déclarée licite au sens de l’article 261bis, le Ministère public de Zürich considérant qu’elle n’attaquait pas directement une «race» et qu’elle se plaçait dans le cadre d’un discours politique devant permettre une large liberté d’expression. Force est de constater que les autorités peinent encore à comprendre comment s’instituent les oppressions. Permettre qu’un discours haineux se cristallise dans des milliers d’affiches représentant des moutons noirs ou une femme en burqa revient à passer à côté de la mécanique raciste.

Or, sachant que l’orientation sexuelle est encore appelée «mode de vie» dans la Constitution fédérale, que le futur article 261bis traitera d’«identité sexuelle» pour parler d’identité de genre et que la transphobie est apparue de justesse dans le projet «Reynard» après son passage en commission, on peut craindre que la compréhension des ressorts des discriminations LGBTIQphobes ne soit guère plus vaste en matière d’orientation sexuelle et d’identité de genre que de racisme. Il n’est donc pas exclu qu’un nombre important de propos discriminatoires échappent aux deux dispositifs pénaux qui seraient alors en vigueur.
Ceci ne doit cependant pas obscurcir le message de base de ce nouvel article 261bis: il constitue une avancée considérable et pose que «l’intolérance et l’incitation à la haine et au dénigrement d’individus ou de groupes sont inadmissibles»6 value="6">«Extension de la norme pénale antiraciste (art. 261bis CP)», Centre suisse de compétences pour les droits humains, 13.08.2015. Reste à étendre 261bis aux femmes, aux personnes avec un handicap et à d’autres groupes encore ignorés par cette disposition. Et reste à se retrousser les manches pour que tout ça s’applique correctement.

NB: Les recherches juridiques à la base de cet article proviennent de la Law Clinic sur les droits des personnes vulnérables, Unige

Notes[+]

* Chercheuses en sciences juridiques et sociales.

Opinions Chroniques Djemila Carron et Marlène Carvalhosa Barbosa

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lundi 8 janvier 2018

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