Contrechamp

Finir sa vie en prison

La prison est confrontée à la maladie et à la mort. A travers la manière dont elle est appréhendée dans les politiques pénales et, concrètement, dans le quotidien carcéral, la mort questionne le sens – et les limites – de l’institution pénitentiaire.
Saskia Perrin: «La vie carcérale présente a priori des contradictions de principe avec la prise en charge médicale.» (photo prétexte) Pixabay /Public domain
Société

De plus en plus, l’univers carcéral doit faire face à la fin de vie, notamment à cause du recours de plus en plus fréquent à l’internement et aux lourdes peines. A travers eux, la mort remet en cause le sens de la peine. Si la réinsertion n’est plus un objectif, à quoi servent les prisons? La maladie, quant à elle, questionne le fonctionnement de la prison: comment concilier soins et règles carcérales?

En 1981, alors que la France connaissait un débat fulgurant sur la peine de mort, Michel Foucault anticipait le nouveau défi moral qui déchirerait la justice criminelle contemporaine: «La véritable ligne de partage entre les systèmes pénaux ne passe pas entre ceux qui incluent la peine de mort et les autres, elle passe entre ceux qui admettent les peines définitives et ceux qui les excluent».1 value="1">Cité dans l’article «Nos sociétés apeurées recourent de plus en plus à la perpétuité», Prison Insider, 2017, http://bit.ly/2fCtd3r Alors que la Cour Suprême des Etats-Unis autorisait en 1970 la peine de mort à condition que la peine perpétuelle constitue un possible jugement alternatif, celle-ci tend aujourd’hui plutôt à constituer un substitut à la peine de mort.

C’est d’ailleurs dans cette lignée que Marine le Pen, qui a récemment renoncé à proposer dans son projet présidentiel le rétablissement de la peine de mort, veut proposer une «perpétuité réelle», sans aménagement de peine: «la réclusion à perpétuité aurait un caractère définitif et irréversible, le criminel se trouverait sans possibilité de sortir un jour de prison».2 value="2">M. Vannier, «Peine à perpétuité réelle: son ‘instrumentalisation permet de paraître à la fois ferme et humaniste’», Le Monde, 24.02.2017, http://lemde.fr/2mm2MjB On passe, en quelque sorte, d’une mort institutionnalisée à une autre.

Le sens de la peine limité à la vengeance et la souffrance

Que nous dit la perpétuité sur le sens de la peine? En annihilant toute possibilité de rédemption, elle limite le sens de la peine à la vengeance et la souffrance. Aux Etats-Unis, qui représentent toujours un extrême en terme de politique pénale, trois décennies de politiques criminelles répressives et la «loi des trois coups»3 value="3">Disposition législative qui pousse les juges à condamner à une peine perpétuelle un prévenu qui est condamné pour la troisième fois à un délit ou à un crime. ont abouti à un taux d’augmentation des peines perpétuelles sans libération conditionnelle de 600% entre 1972 et 2009. En moyenne, ils sont donc plus de 30 000 détenus à attendre la mort entre les murs.

Ces peines inscrites dans la durée ont un caractère éminemment tragique: elles ôtent tout espoir, et laissent tout le temps au détenu d’expérimenter la mort des autres comme d’anticiper sa propre disparition. Un récit récemment publié par Prison Insider témoigne de cette mort qui déteint sur le quotidien: «On était plutôt à côté de la vie que dedans. On a essayé de faire comme les autres, d’avoir une vie, mais c’était pas pour nous» (Larbi Belaïd)4 value="4">Larbi Belaïd, cité par A.-L. Fantino, «Larbi, les murs pour seul horizon», Prison Insider, 2017, http://bit.ly/2fCtd3r.

A l’opposé de l’exemple américain, il y a la Norvège, qui fait partie des rares pays qui n’ont pas inscrit la peine perpétuelle dans leur code pénal. Le sens de la peine prend alors un autre chemin, celui de la réinsertion plutôt que de la dissuasion voire de la neutralisation. Certes, en Europe, la Cour des droits de l’homme prévoit que la perpétuité soit toujours accompagnée d’un aménagement de la peine. Mais les longues peines mettent elles aussi l’objectif de réinsertion entre parenthèses. En effet, pour Jean-Marie Delarue, contrôleur des lieux de privation de liberté entre 2008 et 2014, ce qu’elles mettent en cause, «ce n’est pas la conscience que le criminel a de son acte, mais c’est la possibilité de se réinsérer dans notre vie à nous autres qui sommes restés dehors et de les liens sociaux avec lesquels il a rompu depuis tant d’années».

De nouveau, l’histoire de Larbi Belaïd est éloquente: «Depuis sa cellule, Larbi a vu sortir ceux qui ont partagé son sort. Condamnés à perpétuité, ou à de longues peines. Mais lui reste. Comme si rien n’avait de prise sur le temps, au terme de sa peine de sûreté, fixée à quinze ans. Lui aura dû patienter une décennie de plus, mais la prison sera toujours là, comme s’il y avait un témoin permanent. On ne la quitte jamais».5 value="5"> ibid.

De plus, si des recours sont possibles, c’est souvent à des conditions restrictives. En Suisse par exemple, le Tribunal fédéral (TF) a tendance à rejeter l’assouplissement des conditions de détention. En 2013, il avait ainsi refusé d’interrompre la peine du plus vieux détenu de Suisse, âgé de 89 ans et gravement malade. En effet, le TF a rappelé que l’exécution ininterrompue d’une peine était la règle, et que son «interruption en présence d’un motif grave [devait demeurer] exceptionnelle».

Comme ce détenu consulté lors d’une recherche sur la fin de vie en prison de l’Université de Fribourg, on peut se demander quel est le sens de la peine dans de tels cas: «… Quand un détenu va vraiment mal… que tu vois qu’il n’a peut-être plus qu’une semaine à vivre, alors je trouve qu’on pourrait lui donner une chance et lui dire oui, on te laisse sortir, revoir ta famille, faire tes adieux… voir tes enfants… mais je trouve très dur et brutal comme on agit avec ces gens… Et pour moi, oui, la question de la mort, je la laisse maintenant encore un peu de côté… je me dis, oui, peut-être que tu auras encore une petite chance de sortir… même si aujourd’hui ça paraît vraiment très difficile, parce que c’est partout bloqué, et que le mot d’ordre, c’est de garder dedans, de ne plus laisser sortir…».6 value="6">N. Queloz, «Mourir en prison: entre punition supplémentaire et ‘choix’ contraint», Nicolas Queloz, Revue internationale de criminologie et de police technique et scientifique, Genève, 3, 373-383. 2014, http://bit.ly/2nGXjYH

Surveiller ou soigner?

Cette affaire posait en effet la question de la mort en prison, mais aussi celle de la maladie. Surveiller ou soigner? Offrir une médicamentation adaptée ou éviter un trafic de médicaments? La vie carcérale présente à priori des contradictions de principe avec la prise en charge médicale. Pour le personnel pénitentiaire, cette fonction nouvelle de «soignant» et ce rapport à la mort sont très perturbants. L’absence de perspective de réinsertion est aussi difficile à accepter et remet en cause le sens de son travail.

Quand les soins et la surveillance se côtoient, les objectifs sont si antithétiques qu’ils peuvent difficilement être conciliés. C’est notamment ce que révèle l’étude des sociologues Aline Chassagne et Aurélie Godard-Marceau pour comprendre et décrire les situations de fin de vie en prison: «Cela met en lumière deux mondes qui ont des objectifs et des valeurs assez différentes. Au regard de leurs objectifs propres, ils n’arrivent pas à considérer ceux des autres, cela ne rentre pas dans leur schéma de travail et il n’y a presque jamais de temps prévu pour la rencontre ou la concertation. Je crois que c’est justement l’un des rouages importants dans ces questions de la fin de vie: la difficulté de communication et de compréhension de deux mondes qui agissent en même temps mais pas forcément ensemble».7 value="7">M. Auter, «Fin de vie en prison: autopsie d’une anomalie», Observatoire international des prisons, 24.01.17, http://bit.ly/2n4l4q5

Les règles carcérales apparaissent alors comme difficilement conciliables avec la maladie. Une étude réalisée par la sociologue Lara Mahi sur les patients détenus montre par exemple l’attente qui suit les demandes de consultation en prison. Certains détenus doivent faire plusieurs demandes avant d’espérer obtenir une convocation. Fatigués de ces va-et-vient, ils peuvent alors décider d’abandonner tout espoir de prise en charge: ils renoncent à rédiger des demandes, pour ne plus attendre et ne plus espérer en vain. Le témoignage de David, atteint d’un cancer généralisé, est frappant: «Ecrire, moi j’écris plus. C’est fini. Terminé. Parce que répéter toujours les mêmes choses, non merci. Non. Je demande plus rien. Je me laisse aller, je me laisse partir».

Quand le «sécuritaire» prend le dessus

Vivre seul sa maladie, aussi, est une forme de double peine. On sait que le soutien social et le fait de pouvoir partager ses angoisses influent énormément sur la capacité à gérer la maladie mais également à la combattre: «La maladie est indissociable du social; son expérience se construit entre des malades qui ressentent leur état, l’expriment et l’organisent, et le discours collectif qui dessine la figure du malheur biologique et lui donne un sens». Entre les murs, il apparaît pourtant difficile de trouver du soutien et de partager son expérience. Dans un univers de violence et de prise de pouvoir, relater son vécu en tant que malade, c’est prendre le risque de mettre en avant ses faiblesses et de les voir exploitées. Plus que d’éviter d’en parler, il faut même se cacher, et mentir, pour éviter l’exploitation, mais aussi le rejet et le stigmate. Pourtant, dans un univers clos, rien ne passe inaperçu:

«J’évite de le dire aux autres parce qu’ils pensent que c’est contagieux. Ils pensent que ça s’attrape dans l’air, moi je sais que non. (…) Des fois, je descends avec les gens de la promenade pour aller au médical. J’esquive une fois arrivé en bas et je vais à l’infirmerie. Mais après, des gars me disent ‘mais on ne t’a pas vu à la promenade’. Il faut toujours se cacher, mentir… c’est épuisant (…)» (Wassim).8 value="8">L. Mahi, «Des patients détenus. Se soigner dans un environnement contraignant», Anthropologie & santé, 2015, https://anthropologiesante.revues.org/1607

En somme, la question des patients-détenus tend à être occultée et les personnes malades doivent se plier aux règles carcérales comme leurs codétenus. Cette négation du problème rejoint la question que pose également la peine perpétuelle: quel sens voulons-nous donner à l’institution prison? L’objectif sécuritaire a tendance à prendre le dessus sur l’objectif de réinsertion. Mais la question de la mort ne peut être évitée, et révèle les limites de l’institution: prévue pour une durée déterminée, elle n’est pas organisée pour affronter les problèmes liés aux fins de vie. Utilisée en pratique comme outil de dissuasion voire de neutralisation, elle ne remplit pas non plus l’une de ses fonctions principales, la réinsertion. Ainsi, Foucault avait vu juste, et nos systèmes contemporains ne pourront éviter d’affronter cette question aussi brutale que naturelle qu’est celle de la mort. I

Notes[+]

* Groupe Infoprisons. Texte paru sous le titre «Peine perpétuelle et maladie: quand la questionne le sens de la prison» dans le bulletin n° 19 d’Infoprisons, mars 2017, www.infoprisons.ch

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