Agora

La science en exil

Les universités européennes veulent aider les réfugiés académiques – et profiter de leur savoir.
Recherche

Ils sont mathématiciens, philosophes ou biologistes. Ils ont travaillé dans les laboratoires d’Alep, dans les centres de recherche de Kaboul. Qu’arrive-t-il aux universitaires contraints par la guerre et les persécutions à quitter leur pays pour aller chercher refuge en Europe?

Les universités de certains pays redoublent d’efforts pour offrir une nouvelle chance aux scientifiques en exil. L’Allemagne, notamment, a mis en place de nombreux programmes pour faciliter l’accès des réfugiés aux institutions de recherche. La Deutsche Forschungsgemeinschaft (DFG) a par exemple adopté en 2015 un paquet de mesures pour leur apporter un soutien financier. La fondation Humboldt a créé la Philipp Schwartz-Initiative dans le même but.

D’autres initiatives visent à favoriser les échanges et ainsi l’intégration des chercheurs dont la carrière a été brisée. La plateforme Chance for Science de Leipzig veut leur permettre d’établir des contacts avec des chercheurs allemands parce que les échanges sont très importants, explique Carmen Bachmann, une professeure d’économie à l’origine du projet: «Une longue période d’inactivité représente une catastrophe relationnelle pour ces scientifiques en exil. Le dommage va croissant avec sa durée, car un savoir dont on ne fait rien se perd.» Partant d’un constat analogue, des étudiants de l’Université Goethe de Francfort ont lancé l’initiative Academic Experience Worldwide afin de leur ouvrir la porte des milieux académiques. Les réfugiés peuvent ainsi présenter leurs recherches dans le cadre des conférences publiques «Opening Academia».

Comparée à l’Allemagne, l’aide apportée aux universitaires exilés en Suisse reste modeste. Martina Weiss, secrétaire générale de la conférence des recteurs des hautes écoles suisses Swissuniversities, se demande si cela ne découle pas simplement du fait qu’il y a moins de réfugiés dans le pays. Ces questions préoccupent bien davantage l’opinion publique allemande, souligne Walter Leimgruber, président de la Commission fédérale des migrations (CFM) et professeur d’anthropologie culturelle à l’Université de Bâle.

Des mesures sont prises ici aussi pour faciliter l’intégration dans le monde académique. Onze universités helvétiques ont rejoint le réseau international Scholars at Risk, fondé en 1999 à Chicago afin de protéger les scientifiques en danger et de défendre la liberté académique et les droits de l’homme. Il comprend plus de 400 universités plus ou moins impliquées: certaines leur offrent des emplois, d’autres sensibilisent l’opinion publique avec des conférences et des manifestations. Les universités de Lausanne et de Lucerne ont engagé des scientifiques; Berne et Zurich se sont pour l’instant contentées d’un travail d’information.

Malgré ces initiatives, la perspective de trouver un travail dans une université suisse reste plutôt limitée pour les exilés. «Les postes académiques sont rares et la compétition est forte; cela ne simplifie pas les choses», explique Christin Achermann, professeure en migration, droit et société à l’Université de Neuchâtel et directrice du Pôle de recherche national «On the move». Le porte-parole du Secrétariat d’Etat aux migrations Martin Reichlin avance aussi des raisons pragmatiques: certains réfugiés ont perdu dans leur fuite les documents qui témoignent de leur parcours universitaire.

En plus des obstacles linguistiques, le président de la CFM Walter Leimgruber relève que les formations acquises dans les pays de provenance des réfugiés accusent de grandes différences de contenu et de qualité. «Pour que leur intégration fonctionne, il faut leur donner les moyens de se perfectionner. Ils doivent pouvoir suivre des cours de langue et acquérir des qualifications additionnelles.» Cela ne dépend toutefois pas des universités, mais des cantons. «Et pour eux, quelques scientifiques ne comptent pas», dénonce Walter Leimgruber. Il propose par conséquent d’adapter en ce sens les prestations d’intégration.

Les portes du monde académique sont un peu plus ouvertes pour les étudiants réfugiés en Suisse. L’Union des étudiants de Suisse (UNES) a mis sur pied le projet «Perspectives-études» pour leur faciliter l’accès à l’enseignement supérieur. «La forte demande et les retours positifs montrent que nous sommes sur la bonne voie», se réjouit la responsable, Martina von Arx. Dans plusieurs universités, ils peuvent participer aux cours en tant qu’auditeurs, notamment à Genève et à Bâle. Mais le nombre d’étudiants reste limité, et ce statut ne leur permet pas d’obtenir un quelconque diplôme.

Il faudra encore franchir plusieurs obstacles afin de réussir l’intégration des chercheurs réfugiés en Suisse. Pourtant, l’histoire montre combien une aide spécifique dans le domaine académique est importante, par exemple au travers des destinées des scientifiques qui ont fui l’Allemagne nazie. Leur exil leur a sauvé la vie, mais a également apporté leur savoir et leur créativité aux pays qui les ont accueillis. Et parfois aussi la gloire: sur les 21 prix Nobel en sciences naturelles que compte la Suisse, dix sont nés à l’étranger.

* Journaliste à Berne. Paru dans Horizons n° 112, mars 2017, FNS, www.snf.ch/fr/

Opinions Agora Julia Richter Recherche

Connexion