Chroniques

Un grand homme, un grand Suisse

AU PIED DU MUR

Il y a quelques personnes que je considère comme mes maîtres et dont j’essaie de m’inspirer pour être un homme meilleur et faire ce que je crois être juste. Stéphane Hessel et Abraham Serfaty sont de ces personnes-guides, comme j’aime les appeler, et leurs vies servent de boussole à mes actions et à mes réflexions. Parmi ces maîtres, un Suisse: Jean Ziegler, dont le dernier livre réunit des témoignages sur notre monde a travers «ses combats gagnés et parfois perdus»1 value="1">Jean Ziegler, Chemins d’espérance, Seuil, Paris, 2016.. Ce grand homme me fait l’honneur de me considérer comme un ami, et il a eu la gentillesse de me faire parvenir son ouvrage.

Au cours des vingt dernières années, j’ai souvent eu l’occasion de le rencontrer, en particulier dans le cadre de ses fonctions de rapporteur spécial des Nations Unies pour le droit à l’alimentation. Cette mission l’a amené en 2003 en Palestine et, comme il le raconte dans son livre, ce chapitre va bouleverser non pas sa vie, car il a été partout et a mené à bien de nombreux projets humanitaires, mais son image dans le mode juif institutionnel, et plus particulièrement en Israël.

Dans les années 1980, Jean Ziegler est un héros du peuple juif, adulé par les dirigeants israéliens et les barons du Congrès juif mondial (CJM): il a eu le courage de démasquer le rôle des banques suisses dans la gestion mafieuse des biens juifs pendant, et surtout après, la période nazie. Il aura fallu des décennies pour que les héritiers des juifs massacrés pendant la Seconde Guerre mondiale puissent récupérer, et en partie seulement, leurs biens. Le travail de Jean a été indispensable pour que le CJM réussisse à faire cracher les requins de Zurich et de Genève.2 value="2">Lire Jean Ziegler, Une Suisse au dessus de tout soupçon, Seuil, 1976, et La Suisse, l’or et les morts, Seuil, 1997.

Mais voilà qu’au début du millénaire, il publie son rapport sur la situation des Palestiniens dans les territoires occupés; un rapport sans concession, dévastateur pour le pouvoir colonial israélien, mais irréfutable. C’est connu, quand on ne peut répondre aux arguments, on attaque ad hominem. D’ami du peuple juif, Jean Ziegler est accusé… d’antisémitisme, par Israël et par les pitoyables agences de propagande à son service. Comme tous ceux, juifs ou non-juifs, qui ont le courage de dénoncer les crimes de l’occupation israélienne, comme Edgar Morin, Daniel Mermet, Etienne Balibar, comme les anticolonialistes israéliens. L’immonde chantage à l’antisémitisme a brisé bon nombre de militants de qualité qui ne pouvaient supporter de voir leur nom associé à ce crime. Jean, lui, n’a jamais lâché prise, même si ces accusations lui font particulièrement mal. Face à ses détracteurs, il se félicite même d’être membre du Conseil international du Centre d’information alternative!3 value="3">Centre dont Michel Warschawski est le fondateur, ndlr.

Au niveau personnel, je me suis retrouvé dans la manière dont Jean Ziegler assume son identité suisse: il aime son pays; et par amour pour celui-ci, il ne tolère pas qu’il soit sali par les actions méprisables des banquiers et des politiciens qui sont à leurs bottes, prêt à être traité de traître à une patrie qu’il aime profondément. Comme Jean, j’aime le pays dans lequel je vis et où sont nés mes enfants et mes petits-enfants, et c’est sur ce profond lien affectif que s’est bâti mon engagement militant, jusqu’à la prison.

J’espère que les jeunes militants trouveront le temps de lire Chemins d’espérance, car c’est une formidable leçon de lucidité et d’optimisme.

Notes[+]

* Militant anticolonialiste israélien, fondateur du Centre d’information alternative (Jérusalem/Bethléem).

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lundi 8 janvier 2018

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