Chroniques

Désobéissance

«Du moment que les lois les plus authentiques des souverains les plus légitimes se trouvent en opposition – de quelque manière que ce soit – avec les lois immuables écrites dans notre cœur, il n’y a pas à balancer! Il faut même, quoi qu’il en coûte, désobéir aux premières, pour ne donner aucune atteinte aux dernières.»
A rebrousse-poil

Cette phrase, écrite à l’époque par un juriste de l’Académie de Lausanne, aurait frappé le Major Davel au point que c’est après l’avoir lue qu’il aurait mis à exécution son projet de libérer les Vaudois.

Rappel: en 1723, depuis deux cents ans, le Pays de Vaud est occupé par les Bernois. Ancien officier dans les troupes mercenaires de Leurs Excellences, Jean-Daniel-Abraham Davel est notaire à Cully, où il a reçu la charge de Major des quatre paroisses de Lavaux. C’est un notable établi, respecté. Pourtant, après avoir longuement réfléchi, révolté par les injustices et l’oppression que subit la majorité de ses compatriotes, il se résout à se dresser contre ses maîtres et leurs lois, et va tenter de les chasser hors du canton.

Pour la petite histoire: il monte sur Lausanne à la tête de 600 hommes. Là, les bourgeois l’accueillent avec force courbettes. Durant la nuit, ils le dénoncent aux autorités bernoises. Au matin, ces mêmes bourgeois le font arrêter, l’emprisonnent, le torturent et le condamnent à avoir le poing et la tête tranchée. Les Bernois n’interviendront que pour adoucir la peine: ils ordonnent aux Vaudois, trop zélés, de se contenter de décapiter le rebelle, en renonçant à lui couper la main. Le 24 avril, Davel est exécuté à Vidy.

Nous vivons dans des temps plus cléments. Nous n’avons pas à combattre un occupant, et celui qui se lèvera contre le Pouvoir ne risque pas de subir le sort de Davel! Cependant…

Maintenant que les autorités vaudoises, à l’appel de la droite, sont en passe de durcir honteusement la mise en œuvre des accords de Dublin à l’encontre des demandeurs d’asile1 value="1">Lire Le Courrier des 23 février et 1er mars 2017., au moment où le Conseil d’Etat – à majorité «de gauche», bravo! – oublie toute dignité en prétendant ne faire qu’exécuter des ordres venus de Berne, au moment où il envoie ses hommes de main perquisitionner à l’aube les domiciles de personnes simplement soupçonnées d’héberger d’autres humains en danger, le Major vient nous rappeler ce principe: la désobéissance aux lois, même «des souverains les plus légitimes», peut être un devoir impérieux.

En effet, dans le domaine de l’accueil des réfugiés, la Suisse s’abrite depuis 2008 derrière les accords de Dublin. Ceux-ci spécifient que tout requérant d’asile arrivant dans l’espace Schengen – dont nous faisons partie – doit faire enregistrer sa demande dans le premier pays où il débarque. C’est dans ce «pays de premier accueil» que sera traité son cas. S’il passe dans un autre pays et tente d’y déposer une nouvelle demande, celle-ci sera écartée, et il sera refoulé dans celui de premier accueil.

Or, à moins d’être suffisamment riche pour se payer un billet d’avion, ou de disposer d’un tapis volant, comment peut-on arriver en Suisse, venant d’Irak, de Syrie, d’Erythrée, sans poser le pied d’abord en Grèce, en Italie, en Espagne? C’est absolument impossible.

L’application stricte de ces accords, tout en présentant un exemple parfait de lâcheté et d’hypocrisie, permet à notre pays de se soustraire à ses devoirs humanitaires, et criminalise des gens dont le seul tort est de faire appel à notre compassion. Pas besoin de bâtir des murs, de dérouler des barbelés: Dublin nous protège, nous gardons les mains propres, et nous pouvons renvoyer dans des pays qui croulent déjà sous l’afflux des réfugiés les quelques miséreux qui ont réussi à franchir nos frontières. Et le Conseil d’Etat vaudois peut se laver les mains en affirmant: «Nous ne faisons qu’appliquer la loi».

Pour respecter les «lois immuables écrites dans notre cœur», il est urgent, dans ce domaine, de désobéir à nos autorités. I
 

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