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Une discrimination prohibée peut résulter d’une disposition légale

Chronique des droits humains

Jeudi dernier, la Cour européenne des droits de l’homme a déclaré que l’Allemagne avait violé la Convention européenne des droits de l’homme en excluant des droits successoraux un enfant né hors mariage avant une certaine date.

La requérante, née en 1940, avait vécu dans l’ancienne République démocratique allemande jusqu’en 1984. Elle avait été reconnue par son père en 1951 qui vivait à l’époque en République fédérale allemande. Elle avait correspondu régulièrement avec son père et lui avait rendu visite chaque année de 1954 à 1959. Elle a déménagé en Bavière avec son époux et sa fille en 1984 et est régulièrement venue voir son père jusqu’en 2007. Son père est décédé au début du mois de janvier 2009.

Appliquant une loi du 19 août 1969, les tribunaux allemands ont dénié à la requérante tout droit sur la succession, car cette loi fixait au 1er juillet 1949 la date à laquelle les enfants nés hors mariage pouvaient être assimilés aux enfants issus d’un mariage.

L’article 14 de la Convention dispose que la jouissance des droits et libertés reconnus dans la Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune la naissance ou toute autre situation. Cette disposition complète ainsi les autres clauses normatives de la Convention et de ses Protocoles et n’entre en jeu que si les faits du litige tombent sous l’empire de l’une au moins des desdites clauses. En l’espèce, c’est l’article 8 de la Convention, qui protège la vie familiale, qui entrait en ligne de compte vu la nature successorale du litige et les liens entre le père et la fille reconnue en 1951 déjà.

La Cour rappelle que dans la jouissance des droits et libertés reconnus par la Convention, l’article 14 interdit de traiter de manière différente, sauf justification objective et raisonnable, des personnes placées dans des situations comparables. Pour juger de l’existence d’une justification objective et raisonnable, la Cour doit déterminer si la discrimination poursuit un but légitime et s’il y a un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.

La Cour considère que les buts poursuivis par le pouvoir législatif à l’époque, à savoir la préservation de la sécurité juridique et la protection du défunt et de sa famille, pouvaient passer pour légitimes. En revanche, les moyens employés, soit l’exclusion des droits successoraux des enfants nés hors mariage avant une date charnière définie par la législation, ne sont pas proportionnés. A cet égard, la Cour rappelle que la Convention est un instrument vivant, à interpréter à la lumière des conditions actuelles. Or, les Etats membres du Conseil de l’Europe attachent de nos jours de l’importance à l’égalité, en matière de caractère civil, entre enfants issus du mariage et enfants nés hors mariage. De plus, les difficultés pratiques et procédurales pour prouver la filiation des enfants ont disparu depuis la date de l’adoption de la loi en 1969, le test de paternité basé sur des prélèvements d’ADN constituant à l’heure actuelle une méthode simple et très fiable.

La Cour a donc considéré que les tribunaux allemands avaient violé l’interdiction de la discrimination fondée sur la naissance en relation avec la protection de la vie familiale.

* Avocat au Barreau de Genève, membre du comité de l’Association des juristes progressistes.

Opinions Chroniques Pierre-Yves Bosshard

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