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Menaces réactionnaires contre l’école

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Les élections présidentielles aux Etats-Unis et en France ont vu ressurgir des idées particulièrement nauséabondes. Il ne s’agit pas d’un retour en arrière, mais d’une présence plus visible de thèmes restés jusqu’à récemment confinés à l’extrême droite. Aux Etats-Unis, le futur gouvernement comptera de fervents partisans des thèses créationnistes, qui veulent les imposer dans les programmes scolaires. En France, le candidat de la droite veut (ré)introduire à l’école une version de l’histoire dépouillée de toute vision critique et célébrant un «récit national». Des deux côtés de l’Atlantique, ce qui se joue est la lutte pour une version légitime de penser et le pouvoir de diffuser un discours.

Dans les deux cas, ces idées ont été reléguées à l’arrière-plan du débat, mais elles ont toujours été promues par des collectifs (réactionnaires, nationalistes, voire racistes) qui sont très heureux aujourd’hui de les soutenir. Leur réactualisation sur la scène politique apparaît comme particulièrement inquiétante parce qu’en plus de leur invalidité sur le plan scientifique, elles portent les germes de l’exclusion et de l’injustice sociale.

Commençons par les Etats-Unis, puisque maintenant il ne s’agit plus seulement des propositions d’un candidat, mais d’un «président élu». Le colistier de Donald Trump et futur vice-président, Mike Pence, est un créationniste reconnu. Or le créationnisme, en prétendant que la terre n’aurait que 6000 à 10 000 ans, ne nie pas seulement la théorie de l’évolution de Darwin, mais également les travaux des historien-ne-s, archéologues et autres scientifiques qui ont mis au jour les restes des espèces préhistoriques et les vestiges des civilisations millénaires. De plus, l’explication de l’origine de l’humanité que donne le créationnisme est intimement liée à une croyance religieuse.

Le même processus de négation du discours scientifique au profit de la promotion d’une croyance est à l’œuvre en France. Le candidat de la droite prétend réintroduire le «récit national» dans les programmes scolaires. François Fillon s’en explique dans Le Figaro (1er septembre 2016): «Il faut en finir avec les complexes et les théories fumeuses qui ont déconstruit, chez tant de jeunes, le goût d’être ensemble, fiers d’être Français.» Il considère comme inutile et même délétère d’inspirer aux élèves un esprit critique à travers l’enseignement de l’histoire. Alors que la discipline est fondée sur le questionnement ou la problématisation des faits sociaux du passé, il faudrait cesser de s’interroger et, à la place, asséner des vérités visant à rehausser l’estime des élèves pour «la France». Il en est de même pour le passé colonial: «Non, la France n’est pas coupable d’avoir voulu faire partager sa culture aux peuples d’Afrique, d’Asie et d’Amérique du Nord.» Peut-être est-elle «coupable» de l’avoir fait à coup de canons et de tortures? Assimiler la colonisation à une généreuse volonté de «partager sa culture» n’est pas seulement une hypocrisie monstrueuse, c’est une gifle à la tête des populations qui en subissent encore aujourd’hui les conséquences.

Dans les deux cas, ce sont des croyances que l’on aimerait inculquer aux plus jeunes: croyance dans la création du monde par un dieu tout puissant; croyance dans la puissance et l’amour inconditionnel de la patrie. Ces croyances façonnent un espace des possibles où la ligne entre l’inclusion et l’exclusion des personnes est tracée selon leur origine et leur religion. Si on ne croit pas au dieu chrétien, il n’est pas possible d’appartenir à la communauté. Pire, on ne laissera pas le choix aux élèves étasuniens d’adhérer ou non aux thèses créationnistes. De même, que si on est descendant-e des colonisé-e-s plutôt que de la puissance colonisatrice, on est dépossédé-e de son histoire. L’école deviendrait également un espace d’inclusion pour les chrétien-ne-s de peau claire et d’exclusion pour les autres. Derrière ce constat, on devine une tendance raciste à peine masquée.

Au lieu de développer des outils de réflexion chez les plus jeunes, ces idées légitiment des discours discriminants en les assénant comme des vérités intangibles. Il est impossible de les mettre en échec par le raisonnement, car ce sont des croyances. C’est d’autant plus consternant qu’elles contiennent les germes du racisme et de l’exclusion sociale, deux problèmes d’une brûlante actualité pas seulement aux Etats-Unis et en France.

Alix Heiniger, historienne.

A lire: Anne-Marie Thiesse, Faire les Français. Quelle identité nationale?, Paris, Stock, 2010.

I. Halissat, «Nicolas Offenstadt: ‘Un récit national est une négation de l’Histoire comme discipline scolaire’», Libération, 29 août 2016, http://bit.ly/2fACaaK

Y. Demeure, «Etats-Unis: un ministre de l’éducation créationniste dans le gouvernement Trump?», Citizenpost, 15 novembre 2016, http://bit.ly/2fACaaK

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