Chroniques

En champ les vaches!

A rebrousse-poil

Sur une radio, un débat opposait un proche d’Emmanuel Macron à un militant de gauche. Ce dernier, rappelant le passé de serviteur du capital de l’ex-ministre français, mettait en cause en termes vifs l’homme et le modèle de société qu’il préconise. A cette attaque, le collaborateur du politicien répondait, outré, et comme on ferait la leçon à un enfant:

– Il convient d’abord de respecter tout le monde!

Le respect: un beau sentiment, qui fait que l’on accorde à quelqu’un «de la considération en raison de la valeur qu’on lui reconnaît», selon mon Robert. Je dois avouer que je peine à l’éprouver pour tous les humains sans distinction. Oui, j’ai du mal à «accorder de la considération» à ceux qui oppriment, et même à ceux qui, tout simplement, dominent.

Dominer, respect…Ces mots ramènent une image ancienne…

C’était un village valaisan. Au printemps, lorsque la neige avait fait place à l’herbe grasse, le bruit courait dans les ruelles:

– Demain, on met «en champ les vaches»!

Tous se retrouvaient au matin suivant devant la ferme de Laurent. Ses vachettes noires de la race d’Hérens avaient passé l’hiver attachées, séparées, dans la pénombre de l’étable. Il convenait maintenant de leur faire retrouver la lumière du jour, le grand air, l’espace. Attention! on ne détachait pas toutes les bêtes en même temps, on ne les poussait pas ensemble hors du bâtiment: il s’en serait suivi une mêlée générale, une émeute, un pugilat! Non: en prenant son temps, on libérait une vache après l’autre, en commençant par les plus paisibles. Chacune à son tour, elles hésitaient sur le pas de la porte, humaient l’air frais, prenaient la mesure du vaste champ, puis trottaient pour prendre leur place parmi les autres. Quelques coups de corne, quelques coups de tête: au cours de la matinée une hiérarchie s’établissait entre elles, la même ou presque que l’année précédente. A la fin sortait la reine, bondissant, tourbillonnant, qui courait de l’une de ses sujettes à l’autre, pour bien réaffirmer son autorité, et le respect qu’on lui devait.

Il y avait donc dans ce troupeau une dominante, et des dominées. Normal. Tout comme chez d’autres groupes d’animaux: une meute de loups a son grand mâle, une basse-cour son vieux coq.

Ce statut implique des devoirs, premièrement celui de protéger la communauté. Il procure aussi quelques avantages:

Pour la vache valaisanne, la promesse d’avoir accès la première aux meilleurs herbages, et l’espoir peut-être de recueillir des vivats lors du prochain combat de Reines! Pour le loup, le coq, l’assurance qu’il aura aussi à sa disposition la meilleure part de nourriture, et les plus affriolantes femelles. Chez ces êtres frustes, l’importance de la récompense est limitée par la nature: une vachette de rang supérieur ne pourra pas manger, quotidiennement, plus que ne peut contenir son estomac, ni donc beaucoup plus que l’une de ses congénères. Tout comme le président des loups ou le directeur des coqs qui, par ailleurs, tenus par la durée de l’acte et leurs possibilités physiques, ne seront pas en mesure d’honorer infiniment plus de femelles en un jour qu’un mâle lambda.

Il en va tout autrement chez l’homme: animal supérieur, il a inventé la propriété, l’accumulation des biens, le capitalisme! Obsédés par le désir de posséder, certains humains peuvent ainsi percevoir des salaires mille fois plus élevés que ceux de leurs semblables, ou accumuler des fortunes équivalentes à celles de pays entiers. Sans que, la plupart du temps, ils se sentent tenus, dans les mêmes proportions, par de quelconques devoirs à l’égard des autres! Sans honte, et sans réaliser à quel point ils sont ridicules.

Imaginez une vache qui prétendrait manger mille fois plus que sa voisine, et serait donc mille fois plus grosse!…

Lorsque vous verrez l’un de nos dominants, en photo ou à la TV, pensez à une énorme reine de la race d’Hérens. Ça fait du bien. Et ça tient à distance le respect, au cas où cet individu oserait y prétendre.

Nouveau CD: «La Vague», distrib. Disques Office, ou à commander sur www.michelbuhler.com

Opinions Chroniques Michel Bühler

Chronique liée

A rebrousse-poil

lundi 8 janvier 2018

Connexion