Chroniques

Normalité et «normalisation»

AU PIED DU MUR

Tout le monde a salué la participation active des sapeurs-pompiers palestiniens à la lutte contre les gigantesques incendies qui ont touché Israël la semaine dernière. Pourtant, comme l’expliquait un des officiers palestiniens: «C’était tout à fait naturel, c’est comme quand quelqu’un se noie, on se jette à l’eau sans se demander au préalable quelle est son identité. C’est dans la nature humaine de tout un chacun…» Tout un chacun, vraiment?

Un cours d’humanité, voilà qui ne ferait pas de mal à Benjamin Netanyahou et à nombre de ses acolytes de la coalition d’extrême-droite, qui n’ont cessé d’accuser «les Arabes» d’être les auteurs des incendies, avant même d’avoir une quelconque piste allant dans ce sens. Aujourd’hui, nous le savons: comme c’est presque toujours le cas, le scénario a débuté par une année d’extrême sécheresse, des vents puissants, un incident involontaire, et finalement des pyromanes qui ont allumé de nouveaux foyers là où ils le pouvaient. Y compris quelques pyromanes-nationalistes qui ont saisi l’opportunité pour déclencher leur «intifada du feu».

Mais le maître incontesté des pyromanes reste le Premier ministre israélien, qui n’a cessé de jeter de l’huile sur le feu – c’est le cas de le dire – et d’accuser le «terrorisme arabe», au moment même où les médias israéliens et une partie non négligeable de l’opinion publique saluaient la coopération israélo-palestinienne dans la lutte ardue contre les incendies.

Certains Palestiniens ont critiqué la participation des pompiers palestiniens, parlant de «normalisation avec l’ennemi». «Normalisation» est le concept qui décrit les initiatives et les projets communs entre Palestiniens et Israéliens. Comme l’expliquait le 29 novembre le journaliste et militant palestinien Nassar Ibrahim à un groupe de jeunes Allemands, «tant que perdure la relation coloniale, on ne peut pas normaliser les relations entre les peuples. Nous ne sommes pas deux entités symétriques: d’un côté, il y a une population colonisée et, de l’autre, un Etat colonial qui jouit du soutien de l’immense majorité de sa population. Ce que nous attendons des Israéliens de bonne volonté, c’est de soutenir notre combat pour la liberté, pas de faire comme si tout était normal…»

Sauver quelqu’un qui se noie, conduire un blessé à l’hôpital, éteindre un incendie n’appartiennent évidemment pas à cette catégorie de «normalisation»: ces comportements, comme le dit simplement et si justement l’officier des pompiers de Tulkarem, participent de notre humanité à toutes et a tous, un réflexe qui transcende toute réflexion politique. En ce sens, les Palestiniens viennent de donner aux Israéliens une simple leçon d’humanité. Netanyahou et ses proches n’y ont rien compris; par leurs comportements et leurs déclarations, ils se sont exclus du contexte où se retrouvaient dans un grand moment d’humanité des Palestiniens, des Israéliens, des Grecs, des Chypriotes, des Russes et bien d’autres. Pour paraphraser le grand penseur israélien Yeshayahou Leibowitz, certains de nos dirigeants vivent encore à l’ère de la «bestialité».

* Militant anticolonialiste israélien, fondateur du Centre d’information alternative (Jérusalem / Bethléem).

Opinions Chroniques Michel Warschawski

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lundi 8 janvier 2018

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