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Salauds de pauvres!

L’IMPOLIGRAPHE

Donc, mercredi soir, au Conseil municipal de la Ville de Genève, on a réussi (avec l’appui déterminant du PLR) à clarifier la vision que la droite municipale pouvait avoir des prestations sociales municipales et de l’aide aux plus démunis: elle proposait que les ayants droit (mais pas pour longtemps) aux allocations de rentrée scolaire ne reçoivent plus d’argent mais des bons «valables que dans les commerces genevois», comme au XIXe siècle, lorsque l’illustre perceur de tunnels Louis Favre sous-payait ses ouvriers avec des bons qu’ils ne pouvaient utiliser que dans les magasins de Louis Favre, qui en profitait pour pratiquer des prix surfaits.

Ce retour en arrière, le PDC, l’UDC et le MCG l’ont proposé et voté, convaincus que les pauvres qui reçoivent de l’argent ne le dépensent pas comme le voudraient les zonnêtes gens. A quoi s’est ajouté le prétexte d’aider le commerce genevois face à la concurrence frontalière, transformation intéressante (et intéressée) d’une prestation sociale aux plus démunis en subvention au commerce local.

Il faut saluer la proposition de la droite dilatée et être reconnaissants à ses auteurs de nous permettre de mesurer le chemin parcouru depuis plus d’un siècle: ce chemin, elle nous permet de le mesurer en ressuscitant les pratiques de la vieille charité paternaliste qui précédait les premières institutions de ce qu’on a appelé l’Etat social. Là, on ressuscite le système des bons qu’on ne peut échanger que dans certains magasins, définis ici par un critère géographique, mais on pourrait en choisir d’autres, de critères: pourquoi pas ne pouvoir échanger les bons de charité municipale dans les seuls magasins tenus par des membres de partis politiques représentés au Conseil municipal, tant qu’on y est? De toute façon, la commune n’a aucune possibilité d’imposer à quelque commerçant que ce soit d’accepter ses bons – alors autant les réserver aux copains.

Le rétropédalage social de la droite remet ainsi en lumière ce qu’on avait fini par oublier, et qui caractérisait la vieille charité paternaliste du temps passé: le mépris de ceux à qui on l’accorde et la suspicion qu’on fait peser sur eux – ces gens sont incapables de gérer de l’argent. Si on leur en donne pour manger, ils le boivent, et si on leur en accorde pour la rentrée scolaire, ils le claquent en nourriture pour riches. Donc on leur donne des bons. Pour être sûr qu’ils en feront ce qu’on veut qu’ils en fassent, là où on veut qu’ils le fassent. Parce qu’il faut les tenir à l’œil, sinon ils ne font que des conneries. Et en plus, ils ne sont même pas reconnaissants de notre sollicitude. A se demander si, finalement, ce serait pas bien fait pour eux, parce que bien de leur faute, s’ils sont dans la mouise.

En remplaçant une allocation en monnaie par une charité en bons, on ressuscite donc une pratique oubliée. Mais ce retour en arrière n’étant peut être assez évident pour tout le monde, il convenait de le clarifier, de l’expliciter. J’ai donc déposé un amendement qui pouvait y contribuer, en imposant aux bénéficiaires des bons de se présenter dans les commerces qui les acceptent vêtus d’une robe de bure, un cierge à la main, la tête couverte de cendres et en s’excusant du dérangement.

Parce que faut bien leur faire sentir qu’ils sont pauvres, aux pauvres, des fois qu’ils croiraient qu’ils sont des citoyens et des citoyennes comme les autres. Et qu’il faut bien qu’on puisse les distinguer des consommateurs normaux, ceux qui ont de l’argent, ou des cartes de crédit, ou des cartes de débit approvisionnées. Grâce au vote du PLR, cet amendement clarificateur a été accepté. Ainsi les choses sont elles plus claires: nous pouvons dire sans ambages à ceux qui bénéficient de nos largesses ce que nous pensons d’eux, et ce que nous exigeons d’eux: des remords, et de la reconnaissance. Et de l’humilité. Surtout de l’humilité.
Salauds de pauvres.

* Conseiller municipal carrément socialiste en Ville de Genève.

Opinions Chroniques Pascal Holenweg

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lundi 8 janvier 2018

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