Chroniques

Evil Empire

En coulisse

Difficile d’aborder un autre sujet que celui du changement de conducator outre-Atlantique. Tout a été dit sur la nature répugnante du nouvel occupant du Bureau ovale, ses saillies sexistes et racistes, sa mentalité de redneck primitif, son parcours facile et balisé de fils de millionnaire au pays des inégalités. L’alternative malheureusement était à peine moins enviable: une agente de Wall Street, impérialiste notoire, partisane de la surveillance électronique tous azimuts, qui n’avait comme maigre avantage que d’être une femme et d’être un peu moins imprévisible que son challenger.

Dans le grand commissariat mondial dirigé par les Etats-Unis, il y avait donc le choix entre le méchant flic et le gentil flic au service du même objectif: la perduration d’un système inégalitaire local et planétaire, condition sine qua non pour permettre d’accroître la fortune et la puissance de la classe dominante blanche yankee. Comme dans Le Parrain, il y avait lutte au sein des familles mafieuses pour le contrôle des opérations. Don Corleone a gagné contre Don Barzini! Les conséquences immédiates de la victoire de Don Corleone risquent d’être plus brutales pour les petites gens et pour les peuples du Sud, à commencer par les Cubains, pas encore sortis d’affaire. L’inquiétude est de mise. Mais dans le fond, l’élection de Clinton n’aurait pas reculé l’inévitable catastrophe planétaire à venir (ni amélioré la situation actuelle), dont l’élite des Etats-Unis porte la majeure partie de la responsabilité.

Mais qu’attendre d’une nation construite sur la destruction des Indiens, sur l’esclavage, sur la domination cruelle de tout un sous-continent? Qui s’est constituée en volant un tiers de territoire à son voisin mexicain? Qui a occupé militairement de nombreuses régions du globe tout au long de son histoire, et en domine encore la plus grande partie économiquement? Quel président étasunien a jamais tenté d’inverser la machine? A part vaguement Roosevelt, trop occupé à régler les conséquences de la crise de 1929, et Lincoln, à qui on doit reconnaître le mérite d’avoir aboli l’esclavage, il n’y a pas grand-chose à sauver du côté de la direction politique étasunienne, toutes époques confondues.

D’ailleurs cette crise de 29, de la pure responsabilité des boursiers de Wall Street et du président Hoover, eut comme conséquence de générer une misère noire en Europe et d’ouvrir un boulevard au fascisme, avec les conséquences qu’on sait. On peut chanter avec Michel Sardou «Si les Ricains n’étaient pas là» et verser une larme aux commémorations annuelles du débarquement de Normandie (sans oublier de sangloter à la fin du Soldat Ryan), on ne peut s’empêcher de penser, de façon à la fois rationnelle et utopique, qu’avec un système basé sur des valeurs d’égalité et de bien-être collectif, la catastrophe ne serait pas arrivée.

Le discours de l’élite étasunienne est le même depuis ses débuts, un discours totalement antinomique avec les faits, un discours qui ne cesse de faire l’apologie de la liberté et des droits de l’homme pour un résultat parfaitement inverse. Le ver de l’hypocrisie était déjà dans le fruit de la fameuse Déclaration d’indépendance de 1776 qui proclamait «l’égalité et le droit au bonheur» sous la plume d’esclavagistes génocidaires d’Indiens! Par un phénomène curieux, le double discours de l’élite américaine a toujours bénéficié d’une grande tolérance en Europe. Même chez les esprits «éclairés», une forme de lâcheté et de sympathie naturelle a cours vis-à-vis du cousin yankee.

Outre le lien historique entre les Américains blancs et leurs ancêtres européens, c’est bien un but partagé de domination mondiale sous couvert de bons sentiments, de philosophie des lumières et de principes démocratiques inébranlables qui constitue l’armature du bloc occidental. Alors les élites européennes, les éditorialistes des différents organes de presse libéraux ou sociaux-démocrates, peuvent pousser des cris d’orfraie, dire qu’ils ne mangent pas de ce pain-là et se distancier du sinistre clown paillasse, il demeure que ce dernier est de la même famille qu’eux, tant idéologique qu’historique.

Pour ce qui concerne le mystère qui entoure le vote d’une partie de la communauté hispanique, des femmes, ou des classes sociales défavorisées en faveur d’un homme qui se profile comme leur ennemi acharné, les spécialistes s’interrogent. Pourtant, un voyage en Amérique du Sud, comme un simple trajet en tram par ici, permet d’apporter un élément de réponse claire. Que ce soit à travers les réflexes de citoyens du Sud qui font leur maximum pour se distancier de leur culture d’origine, ou à travers le spectacle effrayant de passagers rivés à leur écran iPhone comme des robots, on ne peut qu’applaudir la réussite d’un système de domination mentale hors du commun. Si les Américains ont voté massivement pour un individu si nuisible, c’est aussi parce que leur cerveau est atrophié par la machine.

Mais le nôtre est-il en meilleur état?
 

* Auteur metteur en scène, www.dominiqueziegler.com, dernier ouvrage paru: Les aventures de Pounif Lopez, ed. Pierre-Philippe, novembre 2016.

Opinions Chroniques Dominique Ziegler

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lundi 8 janvier 2018

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