Chroniques

Eaux troubles

A rebrousse-poil

Les informations sont des rivières qui parfois se rejoignent pour faire naître des fleuves aux eaux menaçantes.

Premièrement…

Les 15 et 16 octobre derniers, un Tribunal citoyen a siégé à la Haye1 value="1">Lire C. Morand, «Les victimes de Monsanto à la barre», Le Courrier du 18 octobre 2016.. Cinq juges de renommée internationale ont auditionné des plaignants venus de toute la planète, qui mettaient en cause la multinationale Monsanto. Durant deux longues journées, public nombreux, nous avons vu défiler, à la barre des témoins, des paysannes et des paysans argentins, colombiens, mexicains, canadiens, français, burkinabés, hindous, sri lankais, bangladais… Les uns soulignaient la concordance entre les courbes indiquant l’augmentation de l’utilisation de pesticides et celles qui mesurent le développement des cancers, des malformations congénitales et des fausses couches, dans les zones où ces produits sont pulvérisés. Les autres énuméraient les suicides et la ruine, là où les agriculteurs ont été contraints d’utiliser les semences OGM. Des agronomes parlaient de la mort des sols, les herbicides tuant tout ce qui vit dans la terre. Des scientifiques ayant publié des études accablantes évoquaient l’ouragan médiatique qui s’était abattu sur eux, orchestré par la multinationale, et la perte de leur emploi qui s’en était suivi.

Invité à présenter son point de vue, Monsanto ne s’est pas déplacé.

Les juges vont maintenant délibérer, pour répondre à six questions en se basant sur le droit international:

La firme Monsanto viole-t-elle le droit à un environnement sain, le droit à la nourriture, le droit à la santé, la liberté de la recherche scientifique? Productrice, durant la guerre du Vietnam, du fameux «agent orange», peut-elle être poursuivie pour complicité de crime de guerre? Par ses activités passées et présentes, est-elle coupable d’écocide, c’est-à-dire de crime contre l’environnement?

Le jugement sera rendu dans les mois qui viennent. Bien sûr, il n’aura pas un caractère contraignant, le Tribunal ne bénéficiant d’aucune reconnaissance officielle. Sa seule légitimité est qu’il représente des milliers d’humains, désarmés face à une forteresse qui pèse des milliards de dollars.

Si je puis me permettre un avis personnel: pour que les cultivateurs se retrouvent captifs et doivent chaque année lui racheter des semences, Monsanto a mis au point celles que l’on nomme «Terminator»: les graines produites par ces plantes sont stériles. Pour moi, ce crime contre la vie, c’est l’horreur suprême, le signe ultime de la barbarie.

Deuxième information…

TISA, vous connaissez? Dernier rejeton de l’AMI et de l’AGCS – ces anciens projets d’accords balayés par la protestation populaire – et frère de lait du CETA que la Belgique est en voie de faire heureusement capoter, le Trade in services agreement (Accord sur le commerce des services) est négocié à Genève depuis 2012 par une cinquantaine de pays dont le nôtre, dans la plus grande discrétion. Son but est de libéraliser complètement le commerce des services sur la planète entière. Il comprend quelques clauses sympathiques:

Tout «obstacle inutile au libre commerce» doit être éliminé; la protection de la nature, l’interdiction de l’exploitation des gaz de schiste, par exemple, sont de tels obstacles! Les litiges entre les collectivités publiques et les privés ne seront pas soumis aux tribunaux nationaux, mais à des tribunaux d’arbitrage privés, dont les décisions seront sans appel. Selon la «clause cliquet», il sera impossible de revenir sur une privatisation (par exemple le passage au privé de la distribution de l’eau potable), même si celle-ci se solde par un désastre. Selon la clause «statu quo», le niveau de régulation existant au moment de la signature de l’accord, s’il pourra être abaissé (moins de régulation) ne pourra pas être relevé; par exemple, une loi réglementant la vente du tabac ne pourra jamais être renforcée!
TISA, c’est une attaque en règle contre les Etats et la démocratie, un pas supplémentaire vers la privatisation du monde et le règne incontesté de la finance. Certains l’ont bien compris: le Canton de Genève, les villes de Genève, Meyrin, Plan-les-Ouates, Carouge (GE), Lausanne, Renens, Zurich, Ste-Croix se sont déclarées «zones hors TISA».

Mais aux dernières nouvelles, les pays négociateurs doivent se réunir à Genève les 5 et 6 décembre pour tenter de finaliser l’accord.

Que les eaux troubles de certaines multinationales soient fécondées par celles, nauséabondes, du TISA, le fleuve qui naîtra n’annoncera rien de bon pour notre pauvre humanité.

Notes[+]

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Opinions Chroniques Michel Bühler

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lundi 8 janvier 2018

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