Chroniques

2017

En coulisse

Deux mil dix sept marquera les 500 ans de la naissance du protestantisme et les 100 ans de la révolution russe, deux bouleversements majeurs, deux mouvements qui changèrent la face du monde de façon indélébile. Un événement de cette taille pourra-t-il se reproduire en 2017? Malgré les désordres que l’humanité traverse en ce début de XXIe siècle, rien ne semble moins sûr. Le protestantisme originel et le communisme étaient des mouvements populaires, profonds et massifs. Ils s’appuyaient sur le ressentiment d’une partie importante de la population vis-à-vis des élites religieuses, économiques, politiques, et proposaient des solutions radicales, des solutions de rupture. Ce ressentiment envers les élites existe toujours aujourd’hui. Mais la volonté commune, la solidarité populaire ne trouvent plus de mouvement décisif qui puisse leur servir d’exutoire.

Aux désordres générés par l’ultralibéralisme répondent des formes de mécontentements fractionnées, confuses, antagonistes. En Occident, c’est essentiellement le nationalisme dans sa conception la plus rance qui répond à la mondialisation, sans gêner la dynamique de cette dernière d’un iota. Ce nationalisme, à l’opposé d’un nationalisme de résistance de type sankariste ou vietminh, n’a dans le viseur que les laissés pour compte les plus faibles du système, les immigrés, les Roms, les artistes, les pauvres etc. Il fait parfaitement le jeu de ­l’élite, malgré les diatribes de façade contre «le système».

Heureusement l’alternative existe: la société civile se lève partout, en Espagne, en France, en Grèce, en Suisse (un peu). Nuit debout, Podemos, les manifestations locales contre l’austérité sont autant d’expressions enthousiasmantes d’une possible résistance commune et pourraient poser les germes d’un renouveau à vaste échelle. Mais le nombre de personnes analysant la situation du monde de façon judicieuse s’avère trop restreint pour constituer une véritable internationale du type de la Deuxième Internationale socialiste du siècle dernier. Il est terrifiant de constater que la seule internationale qui fonctionne pratiquement à l’heure actuelle est… le jihadisme! C’est dire le marasme dans lequel nous baignons.

Rappelons que la Deuxième Internationale socialiste, mouvement populaire qui conspuait la notion de patrie (car «le révolutionnaire n’a pas de nationalité» dixit Lénine) explosa en vol à l’orée de la Première guerre mondiale, quand, reniant tous leurs engagements, les leaders socialistes de chaque pays se rangèrent comme un seul homme derrière leurs drapeaux respectifs et encouragèrent les militants à «défendre» le territoire national pour le plus grand bonheur de leurs gouvernements! Seuls quelques représentants socialistes comme Rosa Luxembourg, Lénine, Karl Liebknecht refusèrent cette logique mortifère et continuèrent de brandir haut et fort les valeurs de solidarité internationale, l’opposition totale à toute implication du peuple dans la guerre et la nécessité d’axer le combat de chacun contre sa bourgeoisie nationale et contre le capitalisme. Ce fut l’objet de la réunion qu’organisa Lénine avec l’aide de membres du Parti socialiste suisse à Zimmerwald, sans succès malheureusement.

La trahison originelle des leaders socialistes européens s’est perpétuée jusqu’à aujourd’hui (Valls et Hollande ne sont pas une anomalie) et n’est pas pour rien dans les succès de l’extrême droite. Mais cela ne suffit pas à expliquer pourquoi, à l’heure où les moyens d’information et de communication sont plus que jamais performants et accessibles, on ne parvient pas à unifier les forces du progrès. Le mystère demeure.

Sans doute le système capitaliste dans son énorme dynamisme a-t-il réussi à générer assez de richesses – mais à quel prix – pour maintenir à peu près à niveau une large classe moyenne occidentale, qui, bien qu’elle assiste au démantèlement de ses acquis, ne se sent pas le courage ou la volonté de se projeter dans un futur radicalement différent. L’avènement d’internet génère aussi ce paradoxe: la communication est totale mais depuis sa bulle personnelle; la technologie mobile (même mise au service de causes progressistes) renforce l’enfermement individualiste, grand mal de notre époque.

Un des autres nœuds du problème, inavoué, inavouable, compliqué, est – que cela nous plaise ou non – le terrifiant ethnocentrisme blanc qui pollue jusqu’aux sphères les plus progressistes de notre société. Comme le disait avec provocation Genet, faire la démocratie en Occident c’est d’abord faire une démocratie contre le Noir et l’Arabe! L’intériorisation de l’idée d’une supériorité blanche en matière de mœurs, de croyances, autorise toutes les intolérances envers l’autre, la femme ou l’homme du Sud, le «barbare», l’«inférieur» censé s’adapter sans moufter à nos valeurs modernes et libératrices, «républicaines» et «démocratiques».

Ce postulat est souvent défendu par des gens qui se prétendent de gauche, voire d’extrême gauche, qui iront militer contre les méchants patrons, la méchante droite coupeuse de budget, pour les acquis sociaux, mais qui resteront prisonniers d’un système de pensée blanc et ne possèderont jamais la vision globale et l’amour des peuples dans leur diversité culturelle. Or Lénine comme Luther réussirent à changer le monde par la force d’un message qui transcendait les frontières et les différences culturelles. Gageons que 2017 sera d’avantage une année de pourrissement que de grand changement.

* Auteur metteur en scène, www.dominiqueziegler.com

Opinions Chroniques Dominique Ziegler

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lundi 8 janvier 2018

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