Chroniques

Et si la «liberté» était devenue une impasse?

ACTUALITÉS PERMANENTES

L’adage veut que la liberté de chacun s’arrête à celle d’autrui. Quand les autres sont loin et peu nombreux, il est facile à respecter: il suffit de ne pas aller chez eux et d’interagir peu, ou après accord sur les modalités. Dans l’Intercity Genève-Lausanne à huit heures le matin, ou dans le tram 15 à Cornavin, vers dix-huit heures, il est plus difficile d’être libre. La liberté s’arrête à l’embonpoint de votre encombrant voisin ou aux abus de Natel de la dame d’à côté. Cela fait bien longtemps que Desmond Morris, avec l’humour et la parfois grande pertinence de son imagination sur observations, a décrit, sinon dénoncé, les effets néfastes des trop grandes concentrations de notre espèce sur notre agressivité et notre niveau de stress. C’est ce qu’il a qualifié de Zoo humain, selon le titre d’un ouvrage auquel on n’a manifestement pas accordé l’importance qu’il mérite.

La plupart des espèces animales sont territoriales et, selon les cas, les individus, les familles, les troupes ou les couples disposent, si tout va bien, d’un espace naturel où chacun vaque paisiblement à ses occupations de quête de nourriture, de sommeil et de relations sociales. Mais dès que la surpopulation ou une réduction artificielle de l’espace intervient, cet espace devient objet de compétition. Ceux qui n’ont plus de territoire sont soumis à des agressions de ceux qui l’accaparent. Les dominés stressent alors et en meurent souvent. Quand ils ne meurent pas, des hiérarchies s’établissent, définissant des priorités dans l’accès à l’espace, à la nourriture, aux partenaires sexuels, parfois à d’autres ressources. C’est ce que l’on observe dans les aquariums, les poulaillers, les zoos… et les sociétés néolibérales! Celles où l’accumulation d’argent et de biens matériels et symboliques poursuit l’accaparement de l’essentiel par les privilégiés et les super dominants des multinationales et de la finance.

L’augmentation des effectifs et des densités humaines sur une planète qui semble de plus en plus limitée pour nos effectifs rend insoluble un partage équitable des ressources, en l’absence d’une gouvernance mondiale qui n’est pas pour demain. Même si les «limites de la planète» sont à dimensions très variables, selon les ressources dont il s’agit. Pour des ressources comme la nourriture, ce n’est pas l’indispensable, mais les superflus qui atteignent très vite des limites théoriques. C’est la surconsommation des ressources relativement rares, donc chères et sources de profits et trafics juteux, qui accélère leur disparition. L’exemple extrême est celui des cornes de rhinocéros et défenses d’éléphants, mais ceci s’applique aussi à la pêche industrielle qui ravage sa ressource et aux spéculations sur les terres agricoles ou sur les matières premières indispensables aux nouvelles industries les plus profitables. Par ses pratiques, selon lesquelles l’argent achète n’importe quoi au prix du marché et seuls comptent les profits à court terme, quitte à faire disparaître les ressources, le capitalisme détruit les milieux naturels et les ressources indispensables à son propre fonctionnement actuel, depuis l’eau et les êtres marins jusqu’aux forêts et aux sols. Et il fait l’éloge de l’individualisme en célébrant ceux à qui le grand banditisme industriel et/ou financier permet d’écraser de leur «liberté» et de leur superflu la misère de multitudes asservies ou oubliées dans la misère. Parce que, bien sûr, leur liberté ne saurait être celle de tous les autres. De même, notre liberté et notre aisance occidentales moyennes ne seront jamais accessibles aux populations du Sud, qui se pressent à nos portes pour rejoindre nos propres exclus, de plus en plus nombreux.

C’est l’application perverse de ce concept de liberté de posséder et de ne pas partager qui conduit nos civilisations aux horreurs du quotidien, que les médias, pourtant asservis au système, n’arrivent plus à dissimuler. Tant que ce système perdure, cette prétendue liberté est une impasse pour notre espèce.

* Chroniqueur énervant.

Opinions Chroniques Dédé-la-Science

Chronique liée

ACTUALITÉS PERMANENTES

lundi 8 janvier 2018

Connexion