Chroniques

Délivrez-nous du mal

CIN-OPTIQUE

Frappante conjonction que la sortie, ces derniers jours, sur nos écrans du film américain Spotlight de Tom McCarthy (récompensé par l’Oscar du meilleur film et celui du meilleur scénario) et la révélation d’affaires de pédophilie dans le cadre de l’Eglise catholique de France qui jettent le cardinal Barbarin, archevêque de Lyon, «dans la tourmente», comme dit Le Monde du 1er avril.

A la suite d’enquêtes préliminaires, ouvertes après le dépôt de plaintes visant l’archevêque de Lyon et certains de ses collaborateurs pour non-dénonciation d’agressions sexuelles sur mineurs par des prêtres, et de perquisitions dans les locaux du diocèse, le cardinal Barbarin s’efforce de restaurer son image avec l’aide de ses services qui disent «vouloir coopérer en toute transparence avec la justice».

Ce qui est frappant dans cette rencontre entre réalité et cinéma sur ces affaires de pédophilie, c’est la similitude des réactions de l’institution: à Lyon, après avoir fait le dos rond pendant la mise au jour des affaires concernant les agissements du père Bernard P., le cardinal s’est engagé à jouer la transparence. Ce qui a fait découvrir avec effarement l’ampleur des agressions sexuelles commises sur des enfants par l’ancien aumônier mis en examen en janvier pour des faits commis entre 1986 et 1991 et surtout, plus inquiétant encore, le fait que l’autorité ecclésiastique lui a permis de demeurer au contact d’enfants jusqu’en août 2015!

Ce que montre le film Spotlight est étonnamment semblable: en juin 2001, pour sauver son journal, le nouveau rédacteur en chef du Boston Globe fait rouvrir à sa petite équipe de journalistes d’investigation le dossier brûlant des agressions sexuelles et pédophiles perpétrées dans les années 1980 par des prêtres. L’enquête révèle que ces actes sont restés impunis et ignorés du public à cause des pressions de l’Eglise sur les autorités politiques, judiciaires et sur la presse. Cette fois, les journalistes vont au bout de leurs investigations et, alors qu’ils pensaient trouver une quinzaine de noms, ils retrouvent les traces de presque 90 hommes d’Eglise coupables et couverts par leur hiérarchie! Le film retrace avec fidélité la naissance de ce succès éditorial qui avait valu au Boston Globe un Prix Pulitzer en 2003.

Spotlight renoue avec le genre du film-enquête et son réalisateur Tom McCarthy ne craint pas les longues scènes dialoguées «à l’ancienne», ni un scénario millimétré qui ne lâche ses révélations successives que parcimonieusement, ce qui permet au film de garder son cap «didactique» sans perdre de son efficacité de polar politique. Mais le cinéaste sait aussi ne pas faire l’impasse sur l’émotion et ménager des scènes bouleversantes lorsque les victimes témoignent avec beaucoup de difficultés de ce qu’elles ont subi trente ans avant. Autre qualité, rare dans un film américain, l’enquête, au-delà du volet politique du scandale, en révèle les dimensions sociale et économique: les victimes venaient toutes des quartiers pauvres de Boston.

Mais le documentaire aussi sait rendre compte de situations si douloureuses. En avril 2008, l’Américaine Amy Berg dans son Délivrez-nous du mal révélait les agissements du père Oliver O’Grady, qui, profitant de son autorité de guide religieux et des liens de confiance qu’il avait établis avec les familles de ses fidèles, s’était comporté en véritable prédateur sexuel d’enfants de ses paroisses en Californie, violant garçons et filles de tous âges – sa plus jeune victime avait 9 mois.
S’appuyant essentiellement sur des témoignages, ce documentaire suscite une incroyable émotion. Non seulement les victimes viennent dire à quel point elles n’ont jamais réussi à sortir du trou noir dans lequel les avaient plongées les violences subies (elles craignent ne jamais pouvoir «récupérer» leur vie), mais leurs parents bouleversés viennent dire leur brûlante culpabilité de les avoir livrées au monstre «sur un plateau».

Peut-être plus bouleversante encore est l’apparente sérénité affichée par le prédicateur (indéniablement charismatique) O’Grady qui, après avoir été incarcéré pendant huit ans, a été extradé dans son pays natal, l’Irlande, où il vit tranquillement. Avec un sourire permanent, il évoque son monstrueux passé sans jamais donner l’impression de prendre la mesure de ses actes. Il convie ses victimes à venir lui parler – «J’ai besoin de les écouter me dire le mal que je leur ai fait» –, dit regretter ses pulsions, «ce déséquilibre majeur» qui le poussait à avoir «de la sympathie pour les enfants un peu timides»! Et surtout regrette n’avoir pas été révoqué et soigné.

Le pire est qu’on est prêt à lui donner raison: pourquoi en effet sa hiérarchie s’est-elle contentée de le muter d’une ville à l’autre? Pourquoi cette même hiérarchie affirme-t-elle n’avoir rien su de ses agissements et, surtout, n’avoir pas compris de quoi il parlait lorsqu’il écrivait en haut lieu pour confesser «son problème»? Pourquoi le clergé bloque-t-il l’accès aux archives? Pourquoi l’Eglise américaine dépense-t-elle des fortunes (1 milliard de dollars en frais juridiques et indemnisations depuis 1950) pour ne pas avoir à fournir les documents compromettants? Pourquoi le pape Benoît XVI, qui pourtant au cours de son bref pontificat défroqua plus de 400 prêtres pour abus sexuels sur des enfants, a-t-il refusé de recevoir deux anciennes proies du prêtre irlandais, qui disent dans le film d’Amy Berg leur besoin de parler et de voir leurs souffrances reconnues pour pouvoir se reconstruire?

Même si c’est en jouant moins sur les ressorts de l’émotion et en refusant d’apparaître comme un brûlot anticatholique, Spotlight pose les mêmes questions. Qu’on peut souhaiter poser aujourd’hui à Monseigneur Barbarin!

* Cinéphile.

Opinions Chroniques Serge Lachat

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lundi 8 janvier 2018

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