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«Les scènes de rembarquement risquent d’offrir quelques images brutales», c’est ainsi que le journaliste Jean Quatremer, correspondant de Libération à Bruxelles, concluait son article du 21 mars dernier dénonçant l’accord passé le vendredi 18 mars entre l’Union européenne (UE) et la Turquie au sujet des réfugiés.

Cet accord qualifié de toutes parts comme étant du déshonneur et de la honte constitue en plus, et c’est le plus grave, la commission préméditée et en toute connaissance de cause d’une violation flagrante du droit international et des diverses conventions protectrices des personnes fragilisées. Ainsi, et cet inventaire n’est pas exhaustif, les 28 chefs d’Etat et de gouvernement et la Commission européenne ont conclu qu’ils ne respecteraient plus de fait, dès l’entrée en vigueur de l’accord, soit le dimanche 20 mars, la Convention relative au statut des réfugié de 1951, le Principe sui generis de non-refoulement, la Convention relative aux droits de l’enfant, la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains et dégradants, et la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH)!

En effet, cet accord prévoit que tout migrant arrivant en Grèce en provenance de Turquie sera placé en centre de détention pour y être enregistré et rapidement entendu s’il prétend au statut de réfugié. Ce n’est là qu’un (triste) tour de passe-passe pour donner l’illusion de respecter la forme car le même accord définissant la Turquie comme un «pays tiers sûr», l’audition débouchera quasiment immédiatement sur une décision de rejet, au motif que la «demande est manifestement infondée» (une «non-entrée en matière» dans le vocable helvétique). La conséquence pratique sera le renvoi de la personne concernée en Turquie. Quant au migrant ne demandant pas l’asile, il sera simplement considéré comme un immigré économique clandestin et renvoyé derechef!

Soyons clairs: cet accord touche de plein fouet des hommes, mais surtout des femmes et des enfants en détresse ayant affrontés mille périls pour fuir les guerres de Syrie, d’Irak, de Libye, du Soudan Sud, d’Afghanistan, les répressions innombrables en cours en Erythrée ou en Palestine occupée, le chaos somalien ou encore la misère endémique prévalant dans nombre de pays sub-sahariens pour ne citer que quelques exemples des infamies d’aujourd’hui…

Quant à la Turquie d’Erdogan, elle est surtout connue pour son régime autoritaire, voire fascisant. Les zones kurdes sont soumises à un étau policier et militaire avec moult exactions quotidiennes et les démocrates sont jetés en prison quand ils ne disparaissent tout simplement pas! La liberté d’expression et de la presse se payent au prix fort comme on le voit depuis le 25 mars avec le début du procès ubuesque contre Can Dündal, rédacteur en chef du grand quotidien critique Cumhuriyet (la République), et Erdem Gül, chef du bureau de ce journal à Ankara.

C’est donc avec cette Turquie-là que l’UE a pactisé en fermant très fort les yeux et les oreilles et pour qu’Erdogan accepte de devenir le gendarme des frontières extérieures de l’Europe, les dirigeants actuels, indignes, veules et cyniques, ont décidé de lui verser 6 milliards d’euros, une somme équivalente aux 30 deniers de Judas!

Quant aux migrants en perdition, l’UE va essayer de leur barrer la route avec des navires de guerre de l’OTAN déployés en mer Egée et pour celles et ceux qui passeront quand même, on organisera des déportations… Oui, Jean Quatremer a «raison»: il y aura bel et bien quelques images brutales!

Ce qu’ont commis les 28 chefs d’Etat et de gouvernement le 18 mars se désigne en droit commun comme une forfaiture…

*Animateur en éducation populaire.

Opinions Chroniques Bruno Clément

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lundi 8 janvier 2018

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