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Une pénurie de médecins en Suisse, vraiment?

À votre santé!

Combien de personnes cherchent un «bon» généraliste et peinent à avoir un rendez-vous tant les médecins installés sont déjà surchargés et refusent de nouveaux patients (au moins hors des grands centres urbains)? Sans parler de ces services hospitaliers qui peinent à compléter tous leurs postes de médecins-assistants.

Le Conseil fédéral, interpellé à plusieurs reprises au Parlement à ce sujet, a répondu en décidant récemment de mettre en œuvre un programme doté de 100 millions de francs dans le but d’augmenter, ces prochaines années, le nombre de médecins formés à environ 1300 par an, au lieu des 1000 à 1100 actuels. C’est ce nombre qui garantirait une population médicale stable, assurant l’entier des consultations pratiquées chaque année, en tenant compte des évolutions – comme le vieillissement de la population ou la féminisation de la profession.

Ceci dit, quand on analyse de plus près ces chiffres, on se rend assez vite compte que c’est surtout la Suisse allemande qui, actuellement, forme trop peu de médecins. La Suisse romande, grâce à une politique volontariste des deux cantons universitaires (Genève et Lausanne), délivre déjà largement son quota de diplômes de médecine (soit le 25% de 1300), avec quelque 370 nouveaux diplômés chaque année. C’est dire que le manque de médecins ressenti par la population est, plus qu’un problème de pénurie, celui d’une mauvaise répartition des médecins formés, à la fois dans les différentes spécialités médicales et d’un point de vue géographique. Toutes les études montrent qu’il faudrait idéalement 6 médecins de premiers recours pour 4 spécialistes, or on est loin du compte en Suisse. Genève compte même 72% de spécialistes pour seulement 28% de généralistes!

La levée du moratoire sur les nouveaux cabinets – et donc l’impossibilité d’exercer un contrôle politique dirigé sur les besoins de la population – ne ferait qu’augmenter le nombre de spécialistes installés en ville. Elle ne répondra pas à la carence de médecins de premiers recours; d’autant plus dans les zones rurales ou semi-urbaines, comme on a pu l’observer entre janvier 2012 et juin 2013, après un abandon du gel de nouveaux cabinets.

Tout nous dit qu’il faut donc former davantage de médecins de premiers recours. Car, dans la jungle des spécialistes – nécessaires pour des interventions ponctuelles –, les patients ont besoin d’un médecin qui puisse à la fois être garant d’un suivi longitudinal, d’une perspective holistique de chaque individu, mais aussi coordonner des soins complexes et être un référent de confiance inséré dans la communauté. On voit encore trop de situations où un patient est noyé sous la masse d’informations de différents professionnels et peine à en faire la synthèse, d’autant qu’il n’en maîtrise pas toujours les enjeux et qu’il est pris dans sa subjectivité – qui n’est pas forcément la garantie du meilleur choix pour sa santé!

Ce même médecin de premier recours, qui aura de plus en plus affaire à des pathologies chroniques et multiples, devra probablement collaborer davantage avec des infirmiers-ères – qui pourraient idéalement faire partie de son équipe de travail et à qui des responsabilités nouvelles devraient être données–  mais aussi avec des assistant-e-s sociaux et d’autres professionnels. C’est ainsi que l’on répondra au mieux aux besoins de la population.

Mais pourrons-nous vraiment prendre ce chemin? Il faut pour cela que les autorités politiques puissent reprendre leur rôle de planification afin de permettre à tous un accès équitable à des soins de qualité. Il faudrait probablement que les médecins acceptent qu’ils n’exercent pas une profession libérale (dépendant d’un marché libre) mais qui repose sur un financement socialisé et remplit un rôle d’utilité publique. Par conséquent, au terme des études de médecine, le libre-choix de la spécialité et du lieu de l’installation en pratique privée devraient – tout comme pour les enseignants – être soumis à des clauses liées aux besoins de la population. Sans cela, la recherche d’un «bon généraliste» par chacun d’entre nous risque d’être encore plus difficile dans les années à venir.

C’est dans la concertation entre tous les acteurs que l’on arrivera peut-être à affiner un modèle de soins optimal: hélas, les discussions dans nos parlements sont dominées par des lobbies très forts laissant augurer que, dans les années à venir, le problème de la formation et de l’installation des nouveaux médecins ne va pas s’arranger et que les 100 millions de francs promis par le Conseil fédéral ne permettront pas de résoudre ladite «pénurie» de médecins.

* Pédiatre FMH, président de Médecins du Monde Suisse.

Opinions Chroniques Bernard Borel

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lundi 8 janvier 2018

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