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Indice de liberté…

(Re)penser l'économie

Récemment, Avenir Suisse, le laboratoire d’idées de multinationales suisses, a publié un indice de liberté dans notre pays.1 value="1">www.avenir-suisse.ch/fr/34126/lindice-de-liberte-davenir-suisse/ Cette appréciation porte d’une part sur les libertés économiques et d’autre part sur la liberté civile. Chacun de ses chapitres est composé d’indicateurs censés mesurer le degré de liberté existant dans notre pays. Le tout étant décliné également au plan cantonal. C’est ainsi que, sur une échelle de 1 à 100, Avenir Suisse a calculé une moyenne de 50 points d’un indice de «liberté» pour l’ensemble des cantons suisses. En tête, nous trouvons le canton d’Argovie avec 77 points et en queue de peloton Genève avec 25 points. Les lecteurs du Courrier qui habitent à Genève n’ont sans doute pas remarqué qu’ils vivent dans une prison à ciel ouvert. D’où vient cette divergence entre les appréciations du laboratoire d’idées néolibéral et le ressenti de l’habitant moyen? Comment expliquer également que des entreprises et des investisseurs ont choisi depuis une quinzaine d’années de s’établir dans ce canton qui connaît une progression de ses habitants, de son PIB et de ses emplois parmi les plus élevées de Suisse? Soit ils ne lisent pas les documents d’Avenir Suisse, soit ils font preuve d’un masochisme déconcertant.

Abandonnons l’humour pour en revenir aux présupposés, idéologiquement déterminés, du document. Dans les indicateurs économiques, nous découvrons que pour être le plus libre possible, il faut payer un minimum d’impôts (directs évidemment), connaître une part de l’Etat au PIB la plus faible, des finances publiques non seulement bénéficiaires mais assorties de mécanismes de frein à l’endettement, d’horaires d’ouverture des magasins les plus larges, d’une législation sur la vente d’alcool la plus permissive, d’une absence de taxes pour les restaurants et l’hôtellerie, d’une absence d’investissements publics dans le logement, de l’inexistence de monopoles cantonaux en matière de notariat, d’assurances immobilières et de… services de ramonage. Braves ramoneurs… moi qui croyais qu’ils pouvaient porter bonheur, voilà que je découvre, grâce à Avenir Suisse, qu’ils menacent ma liberté économique! En résumé, toute législation, même marginale, qui empêche le capital de s’investir comme il l’entend et limite la concurrence est destructeur de liberté.

Le second volet a trait à la liberté civile avec des indicateurs eux aussi particulièrement éclairants. Parmi ceux-ci, nous trouvons: libre choix de l’école (de la maternelle au secondaire) et subventions cantonales aux écoles privées, libéralisation de l’enseignement à domicile, protection des non-fumeurs limitée au maximum, aucune interdiction de consommation d’alcool sur la voie publique, installations de radars fixes les plus limitées possible, délais d’obtention d’un permis de construire le plus court, absence d’impôt cultuel pour les personnes morales et – voilà qui devrait faire plaisir au Black Bloc – aucune interdiction de porter une cagoule lors de manifestations!

La vision de la liberté d’Avenir Suisse est à l’évidence celle de l’individu pris isolément, avec un minimum de contraintes légales, chacun étant susceptible de s’épanouir au mieux, à partir de ses propres capacités. Si nous étions au XIXe siècle, les indicateurs de la liberté économique d’Avenir Suisse pourraient s’énoncer ainsi: absence de législation sur le travail des enfants, non réglementation de la durée du travail, absence de normes de protection des travailleurs, aucune protection de l’environnement, etc. Il faut dire qu’Avenir Suisse s’inspire de l’indice de liberté économique mis au point par Milton Friedman, économiste néolibéral qui a conseillé Pinochet. Il en connaît donc un bout en matière de liberté… Nous pourrions rire de ce type d’analyse si celle-ci ne rencontrait pas un écho certain dans les médias et n’inspirait pas la plupart des partis de droite. C’est l’occasion alors de rappeler des évidences simples. La loi et la réglementation ne sont pas des normes tombées du ciel mais le produit de luttes consistant souvent (mais pas toujours) à protéger le faible contre le fort. La liberté identifiée à la liberté économique, c’est le contraire de la liberté: c’est la loi de la jungle.

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* Membre de SolidaritéS, ancien député.

Opinions Chroniques Bernard Clerc

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